• Théâtre  • « Amor mundi ». Hannah Arendt, portrait d’une réfugiée, sauvée par sa « tribu ». ****

« Amor mundi ». Hannah Arendt, portrait d’une réfugiée, sauvée par sa « tribu ». ****

Le Théâtre des Martyrs reprend, jusqu’au 26 mai  une création de Myriam Saduis,  » Amor Mundi « , une des 3 meilleures mises en scène nominée aux des Prix de la Critique 2016.

Voici ma critique après la première. Dans la nouvelle version, deux nouveaux acteurs Pierre Verplancken et Emmanuel Texeraud remplacent Jérôme de Falloise et Romain David.

Parler de philosophie au théâtre ? Un pari risqué que Myriam Saduis et ses acteurs relèvent avec rigueur et élégance dans « Amor Mundi », hommage à Hannah Arendt, icône de la pensée subversive juive du XX e siècle

La vie de Hannah Arendt est un roman douloureux, adaptable à la scène comme à l’écran. Margarethe von Trotta a risqué un biopic (2012) centré sur le procès Eichman, où la thèse de Arendt sur la « banalité du mal » chez ce bourreau-fonctionnaire l’a brouillée avec ses meilleurs amis. Un dialogue philosophique ou un monologue d’écorchée est possible sur sa relation passionnée avec Martin Heidegger, son maître, son amant mais aussi collaborateur d’Hitler et pire, antisémite structuré.

Une histoire d’exilés, sauvés par l’amour, l’amitié et la pensée.

Dans « Amor mundi », l’angle choisi par Myriam Saduis et Valérie Battaglia, en hommage à ce personnage hors norme est à la fois abstrait, concret et poétique. C’’est l’histoire d’une femme qui « pense », qui aime et qui rêve au sein d’un groupe d’amis juifs new yorkais fêtant le premier grand succès d’Hannah Les origines du totalitarisme, qui renvoie dos à dos nazisme et stalinisme. Dans le cercle amical, son mari, Heinrich, philosophe, entre Socrate et Rosa Luxembourg, deux amis du couple, Hans et Lore, venus d’Israël et Robert, un exilé juif musicien qui a des problèmes de visa, de solides doses d’humour et une théorie imparable sur la prolifération des bouffons shakespeariens. Autre personnage « drôle », la romancière américaine Mary MacCarthy, une excentrique à la vie amoureuse…mouvementée, qui amène son grain de folie dans le débat. Enfin un petit personnage d’étudiante, Sarah, rassemble nos idées à la fin d’un spectacle/promenade d’une heure et demie, dense et léger, qui nous éveille, nous émeut, et nous emporte dans un « conte philosophique » plein de charme.

Une mise en scène poétique et efficace.

Soufian El Boubsi, Ariane Rousseau et Aline Mahaux dans

Soufian El Boubsi, Ariane Rousseau et Aline Mahaux dans – © Serge Gutwirh

L’ambition du projet ne mènerait pas bien loin si Myriam Saduis n’avait une maîtrise instinctive de ce qui nous touche en profondeur, entre rêve et réalité, joie de l’instant et nostalgie sous-terraine. D’emblée une image forte: Hannah Arendt, vue de dos, c’est un corps qui danse, sensuellement, pas un pur esprit. La scénographie d’Anne Buguet insinue le ciel de la Grande Ourse qui élève à l’universel le débat d’amis dans ce petit intérieur confortable. D’ingénieux flashbacks nous ramènent à Walter Benjamin, analyste lucide de la montée du nazisme, suicidé à la frontière espagnole, en 1940, faute de pouvoir la franchir. Image du destin fatal qui hante ce groupe de survivants de la Shoah. Image universelle du réfugié qui se cogne à la froide réalité au moment où il se croyait sauvé. D’une actualité… éternelle. Efficace aussi le découpage des séquences: à peine un dialogue philosophique s’achève qu’un espace de rêve et de détente nous est offert. Tantôt une chorégraphie ralentie, où le groupe se soude, sans paroles. Tantôt la voix en off d’Hannah qui exprime, en dépit de tout, son amour de la langue allemande. En basse continue, la bande son de Jean-Luc Plouvier, au service de l’émotion comme de l’humour, dynamise les séquences en douceur. Alors que les contrastes lumineux de Caspar Langhoff créent un sensuel intérieur nuit.

Un chœur d’acteurs transcendant

Mathilde Lefèvre dans

Mathilde Lefèvre dans – © Serge Gutwirh

Enfin et surtout il y a ce chœur d’acteurs magistralement dirigé pour que chacun ait sa place et sa petite musique. Bien sûr Mathilde Lefèvre -Hannah Arendt- a une présence, une énergie, une justesse qui en font la clef de voûte de l’action. Mais Jérôme de Falloise, le mari y ajoute sa dynamique, l’ »amoureux » Hans-Soufian El Boubsi- son calme souriant, l’amie Mary Mc Carthy -Aline Mahaux- sa véhémence comique et Romain David-le musicien Robert- son humour décapant. Ariane Rousseau -Lore- et Laurie Degand -l’étudiante ont chacune leur moment de grâce.

Amor mundi, un « dialogue d’exilés » qui sans l’avoir prémédité, résonne d’une actualité brûlante.

à voir au Théâtre des Martyrs jusqu’au 26 mai

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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