• Danse  • MICHELE NOIRET. « UP CLOSE ! ». Un autoportrait comme un défi à l’âge et à l’époque. ****

MICHELE NOIRET. « UP CLOSE ! ». Un autoportrait comme un défi à l’âge et à l’époque. ****

Michèle Noiret a construit depuis le début du siècle une subtile esthétique chorégraphique de danse-cinéma axée sur ses territoires intimes ou l’exploration d’un monde angoissant, à la Lynch. Elle y a acquis une réputation internationale. Mais tout au long de sa carrière elle a aussi pratiqué avec succès des « solos » qui la maintiennent dans son statut initial de danseuse et lui permettent de réfléchir à des formes nouvelles, expérimentées d’abord sur elle-même.

Critique :

Ainsi Vertèbre, créée en 1989 et transmise 30 ans plus tard à la danseuse Sara San, traitait déjà d’un de ses thèmes favoris : une femme en équilibre instable sur une chaise se métamorphose en insecte, puis redevient femme. Un autre rendait hommage à son cher compositeur Stockhausen et le dernier Demain (2009) était consacré, avec un grand déploiement de technologie visuelle, à un thème d’angoisse mondiale : la disparition des abeilles.

UP CLOSE ! , le dernier solo. Autoportrait ou autofiction ?

D’emblée le thème est donné. Michèle Noiret s’approche de nous avec une envie amusée de jouer avec le public. Elle nous propose son labyrinthe à partager avec le nôtre et avec humour se définit comme « gémeaux ascendant gémeaux » vivant dans quatre univers aériens et contradictoires. La perfectionniste organisée et jamais satisfaite côtoie celle qui doute, remet au lendemain et qui rêve de mondes imaginaires. Et celle que les dérives de notre monde angoissent, dialogue avec l’optimiste espiègle qui adore se marrer.

Chacun de ces « personnages intimes » convoquera l’un au l’autre témoin dont on entendra souvent la voix. Pour le sérieux et la rigueur papa Joseph Noiret poète membre du groupe Cobra bénit le talent de sa fille et le compositeur Stockhausen lui insuffle le goût de la recherche, musicale entre autres. Marguerite Duras sème le doute avec humour sur le thème même d’autobiographie ou d’autofiction. L’actrice italienne Monica Vitti, interprète d’Antonioni dans sa langue natale, traduite par Michèle, défend avec vigueur le mélange vie privée et professionnelle et la vérité des « personnages ». Le tragique ne surgira qu’à la fin avec la photographe américaine Francesca Woodman qui se suicide à 21 ans après avoir laissé des centaines d’autoportraits (un détour par Google vaut la peine pour les non-spécialistes).

Le rapport de Francesca avec ce solo « autobiographique » de Michèle ? De manière subtile ce solo est une réflexion multiple sur le corps et son vieillissement pour une danseuse dont c’est l’instrument. Aucune fausse pudeur sur son âge, elle a 63 ans, danse depuis 51 ans et au ballet de l’Opéra de Paris on l’aurait mise à la retraite depuis 21 ans ! Mais en Belgique on diminue sa subvention fortement ce qui la condamne à l’« arte povera » pratiqué à ses débuts.

Et c’est le paradoxe de ce « dernier solo » : entre ces nombreux témoignages verbaux et malgré l’absence totale de vidéo de soutien, le corps de Michèle Noiret s’affirme dans sa puissance expressive avec une incroyable vitalité. Un corps « plus vulnérable mais aussi plus intelligent » qui rythme le spectacle de séquences dansées d’une incroyable beauté. Une chorégraphie des mains inouïe, sa signature intime depuis 50 ans, une occupation de l’espace féline, une capacité à lancer un mouvement et à l’arrêter « en vol ». Une grammaire expressive mise au service non d’une histoire à raconter littéralement mais de climats à créer pour introduire ou prolonger les épisodes de réflexion. L’art chorégraphique de Michèle Noiret est à l’image de ses signes astrologiques : rigoureux et rêveur, combattif, engagé et joyeux. Un art de la respiration appuyé par la splendide composition musicale de son éternel complice, Todor Todoroff.

Du grand art pour un belle réflexion autobiographique.

NB : au moment de publier j’apprends par les réseaux sociaux que Michèle, à la première mardi soir s’est déchiré un muscle et a dansé en s’appuyant sur une seule jambe. Incroyable force mentale et physique : elle a réussi à résister à la douleur pour le plaisir du public. Qu’elle en soit remerciée et félicitée.

Christian Jade

Les représentations ultérieures aux Brigittines sont reportées à janvier 2025. www.brigittines.be ; le site de l’artiste : www.michele-noiret.be

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