• Festivals  • Avignon  • Avignon 2017. ‘Unwanted ‘(Dorothée Munyaneza): le viol comme arme de guerre. Une dignité reconquise par la beauté.

Avignon 2017. ‘Unwanted ‘(Dorothée Munyaneza): le viol comme arme de guerre. Une dignité reconquise par la beauté.

Critique****

Lors du génocide rwandais (1994) Dorothée Munyaneza a 12 ans et échappe par miracle à la mort et au viol. 20 ans plus tard elle retourne au Rwanda pour y faire une enquête minutieuse auprès d’une soixantaine de ces femmes violées et de leurs enfants survivants.

Elle visionne aussi deux films pudiques et nécessaires sur le sujet, ‘Rwanda, paroles de mères’ d’André Versaille et Benoît Dervaux et ‘L’homme qu réparaît les femmes’ de Thierry Michel sur le Docteur Mukwege. Ou encore ‘Mauvais souvenir’ de Marine Courtade et Christophe Busché, qui se penche sur le mal de vivre de ces ados de 20 ans rejetés de tous pour un crime qu’ils n’ont pas commis. Enfin, Dorothée lit aussi ‘La guerre n’a pas un visage de femmes’ de Svetlana Alexievitch, Biélorussse, Prix Nobel de littérature 2015 qui décrit l’utilisation cynique des femmes comme armes de guerre par les Russes contre les nazis. Histoire de compléter son info, d’universaliser le sort des femmes dans toutes les guerres. Par rapport à un sujet aussi fréquent, horrible  et quotidien, vu le nombre de guerres qui font rage dans le monde, et de femmes humiliées, détruites, on est surpris du peu de place que le sujet occupe dans la littérature et le cinéma (documentaire ou pas) mondial.

 La performance de Dorothée Munyaneza, basée sur une étude sérieuse, n’est pas un ‘documentaire’, une enquête même si elle part d’interviews -réalisées grâce à une militante rescapée, Godelieve Mukasarasi-  de femmes et d’adolescents rescapé(e)s. A tou(te)s elle a posé la même terrible question : Vous êtes-vous acceptée ? Qui est-on quand on a été violée, qu’on a hérité du virus du sida et que 9 mois plus tard une ‘bombe à retardement’ surgit sous forme d’un enfant qui prolonge l’image du la brute même s’il n’y est pour rien ? Comment aimer un enfant du viol alors que la communauté tutsi vous reproche de ne pas avoir avorté ? Comment être cet enfant haï et nié ? Terrible, insoluble dilemme, alors que la honte est multiple, insoluble, invivable ? Pendant son enquête, Dorothée a beaucoup pleuré et aussi été surprise par la dignité de ces femmes martyrs chez qui l’instinct de vie est plus fort que l’instinct de mort. A la fin de chaque entretien elle leur demandait de poser avec elle pour la photo. Elles s’éclipsaient et revenaient, splendides, dans une robe de fête, comme si la beauté féminine était la réponse la plus digne à l’outrage subi. Et un message d’espoir aussi.

Douleur/Beauté.

– © Christophe Raynaud de Lage

Le spectacle/performance  ‘Unwanted’ (non-désiré) rend compte de cette double expérience : Dorothée parle beaucoup plus qu’elle ne danse d’une voix douce, sans pathos et la tragique, l’insoutenable expérience vient du chant, de la voix rugueuse, à l’aigu déchirant de l’Afro-Américaine Holland Andrews : un duo de femmes bouleversant soutenu par la musique d’Alain Mahé, hors plateau. L’éloge de la beauté comme acte de survie au désespoir vient aussi du Sud-Africain anti-apartheid Bruce Clarke dont l’immense statue de femme(s) domine la scène comme un totem féminin géant. Au début, vue de profil, l’immense silhouette de papier permet d’incarner les ‘déchirures’ du viol de manière non réaliste mais très ‘audibles’. A mesure que le récit progresse la statue est orientée de face et devient une sorte de déesse de la Beauté féminine, la revanche définitive contre le crime de viol. Ce qui frappe dans ce spectacle basé sur une honte incommensurable c’est la pudeur des mots, la pureté de la voix, même quand elle incarne l’horreur, la douleur. Et la discrétion du  corps de la danseuse quand il esquisse l’inavouable. Magique aussi cette statue de la Beauté féminine qui redevient une Vénus triomphante après les outrages initiaux.

Cette performance remarquable, qui dépasse la danse « pure » fait le tour de la France, de l’Europe (de la Grèce à la Serbie, de Berlin à Paris (Festival d’automne) et atterrit aux Etats-Unis- New York., Princeton, Portland-.

Aucune date, jusqu’à présent, en Belgique francophone ni même néerlandophone (De Singel, Anvers paraît intéressé). Cette indifférence pour un génocide où la Belgique fut impliquée me paraît ‘surréaliste’, pour rester poli.

 ‘Unwanted ‘(Dorothée Munyaneza) :

-Avignon jusqu’au 13 juillet.

-Paris (Le Monfort, Festival d’automne), 18-21 octobre.

Christian Jade (RTBF.be)

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

POST A COMMENT