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Avignon 2018 /Danse. « Story water » en Cour d’Honneur. Un beau risque…inachevé. ***

Il y a eu hier soir une belle prise de risque en Cour d’Honneur avec « Story Water », mettant la musique contemporaine (Pierre Boulez, le mathématicien et Rebecca Saunders, la révoltée) au centre d’une heure austère et passionnante. L’Ensemble Modern, une phalange renommée et le chorégraphe Emanuel Gat ont ensuite consacré quelques minutes à parler politique (le sort de Gaza) puis folklore (une composition en forme de « récréation » pour les danseurs, co-signée par les deux protagonistes).

C’est la troisième réussite (même avec quelques « bémols » pour le final) de la programmation danse, assez remarquable cette année avec Sasha Waltz (« Kreatur ») et François Chaignaud (« Romances inciertos »), sans compter quelques grosses pointures (pas vues) comme l’Espagnole Rocio Molina ou l’Allemand Raimund Hoghe, le dramaturge de Pina Bausch.

Critique : ***

Le point de départ de « Story water » est un poème soufi qui vante l’eau qui « porte les messages entre le feu et ta peau « , une métaphore à plusieurs interprétations. Le corps des danseurs et/ou la musique sont eux aussi des « porteurs d’eau » qui nourrissent l’imaginaire collectif du groupe danseurs/musiciens, en échange constant, actif, sur pied d’égalité dans cette Cour d’Honneur. Les musiciens de l’Ensemble Modern font plus que partager la scène, ils l’occupent à part égale avec les danseurs et sont éclairés comme eux dans un long  » plein feu  » solaire.  Une mise en espace qui permet soit d’observer la construction progressive de cet échange, soit d’écouter et « voir » la musique de Boulez ( » Dérive 2  » pour 11 instruments) ou de Rebecca Saunders (« Fury 2 » pour contrebasse solo et ensemble) interprétée par ce merveilleux ensemble de Francfort. Une qualité « Ars Musica » qu’on n’attend pas en Cour d’Honneur et qui m’a personnellement ravi mais a fait fuir une(très) petite partie du public de la première. Face à nous, deux groupes de 5 danseurs (3 femmes, 2 hommes) en tenue blanche, commencent par faire leurs gammes avec des gestes simples, répétitifs et légèrement différents d’un groupe à l’autre. Ce qui permet de repérer à la fois la « grammaire » des gestes et les qualités individuelles.

Une heure de rigueur, quelques minutes de politique. Un final « récréatif ».

– © Julia Gat

Les 45 minutes de Boulez, divisées en un prologue et 2 chapitres sont soudain dynamisées par la « furi  » de Rebecca Saunders qui réunit soudain les 10 danseurs, avec la contrebasse au milieu de la scène, en un échange plus concret, plus physique, plus dynamique aussi. Belle réussite commune d’Emanuel Gat et des musiciens. Musique contemporaine certes, avec ses dissonances mais le dialogue gagne en intensité, en sensualité et donc en intérêt. La scénographie se fait moins austère et les danseurs, tous sexes réunis, revêtent d’énormes robes blanches qui rejoignent un des thèmes du festival, le genre, tendant vers le féminin. Soudain, après 1 heure, un quatrième chapitre se fait jour sur le sort de Gaza, après un mini-chapitre humoristique sur  » People « .  Des chiffres terribles s’affichent sur la misère qui y règne et la musique désormais composée conjointement par Emanuel Gat et l’Ensemble Modern prend un régime plus harmonieux alors que les danseurs s’habillent de couleurs. La fin est encore plus inattendue. C’est « Dance », sans chichis sans manière, la troupe et l’Ensemble sifflent la récréation et se mettent à danser en groupe sur des airs folkloriques comme s’ils devenaient un peu  » people « , comme pour amadouer le public. J’ai personnellement peu apprécié le contraste entre la défense de la musique contemporaine de la 1ère heure, au risque de se faire siffler, la courageuse prise de position sur Gaza et la concession folklorique finale qui ne dupe ni le « grand public » (qui part poliment) ni les amateurs de risque artistique. J’ai le souvenir d’Anne Teresa de Keersmaecker à la fois sifflée et applaudie à grands cris d’enthousiasme pour son « Mozart Arias », dans les années 90. La préhistoire ? Deviendrait-on frileux en Cour d’Honneur ? Audacieux, courageux pendant 1 heure 10, prudent les 10 dernières minutes ? Drôle d’époque. Dommage, mais saluons avant tout ce beau dialogue égalitaire musique/danse.

« Story water » d’Emanuel Gat et Ensemble Modern. Jusqu’au 23 juillet en Cour d’Honneur.

Repris à De Singel (Anvers) les 14 et 15 décembre.

A Paris (Palais Chaillot) du 9 au 13 janvier.

Christian Jade (RTBF.be)

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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