• Festivals  • Liège  • Factory. L’émergence au Festival de Liège. LA découverte : « Home » de Magrit Coulon ****

Factory. L’émergence au Festival de Liège. LA découverte : « Home » de Magrit Coulon ****

« Factory », c’est un peu comme un volet d’exposition théâtrale. Une année sur deux, on côtoie des œuvres, parfois majeures, venues du monde entier. Factory, « la fabrique » montre chaque année des œuvres de la FWB en projet, en progrès ou achevées. L’expo devient alors un marché fréquenté par les programmateurs, des acheteurs potentiels qui leur donneront vie aux quatre coins de la Belgique ou en Avignon au Théâtre des Doms.

Certains vous tapent dans l’œil au premier coup d’œil, d’autres sont comme des promesses de fruit, à suivre, work in progress, d’autres proposent une idée, comme une charpente déjà solide. En groupant en un jour, pour les programmateurs et la presse culturelle, 8 de ces 12 tableaux/spectacles (de 20 mn à 1H30, vus de 11h du matin à 22H) le maître d’œuvre Jean-Louis Colinet, ancien directeur du Théâtre National, nous a fait vivre une solide expérience, passionnante.

Comme ce Home, séduisant et raffiné, produit par de jeunes étudiants à peine sortis de l’INSAS. Ils ont développé leur projet de fin d’études qui va au-delà de la simple promesse. La metteuse en scène, Magrit Coulon et ses trois acteurs Carole Adolff, Anaïs Aouat et Tom Geels ont longuement observé des « vieux » dans un home d’Ixelles, pour reproduire leurs gestes avec une précision maniaque, saisissante, du corps, des jambes, des mains. Alors théâtre documentaire ? Non, ce matériau humain leur sert à faire un théâtre quasi métaphysique… et drôlissime sur le vide intérieur qui guette, la fuite terrible du temps, la rareté de la parole. Ces « jeunes » se présentent comme des « vieux » ravagés, aux gestes lents, aux corps recroquevillés, accrochés à leur support roulant, leur siège, ou à une table, comme autant de bouées de sauvetage. Leurs rares paroles au milieu d’une immense solitude font entendre des rapports de force rageurs, des éclats d’âme furtifs. Une tendresse lucide imprègne la mise en scène de ces trois vieux, barbouillés de confiture, parfois rassemblés autour d’un piano dissonant pour exister en attendant que le ciel leur tombe sur la tête.

(NB: le petit détail qui résume l’impression générale : les 20 premières minutes sont muettes, centrées sur le geste et l’occupation de l’espace. Pas une toux de spectateur « ennuyé » alors qu’en face de nous une horloge nous permet de mesurer ce temps extérieur…long. Mais les acteurs nous font une infusion souvent comique de leur « temps intérieur » que nos sourires accompagnent)

« Bruits d’eau » et « Je suis une histoire ». La touche italienne. ***

  Hugo Pereira de Castro sur un texte de Marco Martinelli (Rumore di aqua). Bruits d'eau

Hugo Pereira de Castro sur un texte de Marco Martinelli (Rumore di aqua). Bruits d’eau – © Dominique Houcmant

Bruits d’eau, un solo intense d’Hugo Pereira de Castro sur un texte de Marco Martinelli (Rumore di aqua). L’acteur est comme immergé en Méditerranée, observant le flot de réfugiés se noyant en mer dans un tourbillon macabre.  Le texte, morcelé, haletant, parfois halluciné nous inonde d’une cascade d’images (purement verbales) de violence, de parcours calamiteux qui échouent sous nos yeux avec des poissons de proie aux aguets. Ces passagers de la mort annoncée ont des noms qui nous invitent à partager leur triste destin : Youssouf, Sakinah, Jasmine, Jean-Baptiste. Hugo Pereira sous le regard de Martine De Michele parvient à scander ce texte à hauteur de la catastrophe, sans emphase, avec l’intime conviction d’une voix nue, bien articulée, bien projetée. Et qui s’appuie sur un corps expressif, dynamique, aux gestes précis.Une très belle performance humaine, sur un texte d’un auteur italien encore trop peu connu chez nous.

Dans Je suis une histoire, Anthony Foladore, auteur/interprète, est accompagné à l’accordéon par Simon Fransquet. Il se place au centre non pas d’une histoire mais d’un carrousel d’histoires en forme de souvenirs. Il y fait revivre de savoureux personnages d’un village italien avec un point commun, une double évasion par l’alcool et le rêve, parfois un peu mythomane de quitter ce village. Même le curé n’échappe pas à la communion par l’alcool. Mais il y a aussi un enfant souffre-douleur plein de colère et un jeune Africain renvoyé sans ménagement au pays. Entre ombre et lumière, avec une scéno minimaliste où un simple lampadaire sur roulettes convoque les atmosphères,  il nous propose un récit classique, dynamique,chaleureux.

Parmi les works in progressAvez-vous intégré le principe de réussite d’Isabelle Darras aborde le chômage des femmes de manière à la fois réaliste et humoristique dans une métaphorique salle des objets perdus, utilisant marionnettes, poupées et peluches pour lui donner une dimension onirique. Le comique féminin s’y donne libre cour avec Catherine Mestoussis en employée zélée brute de décoffrage. Prometteur.

Dans Continent noir, Sarah Espour propose une performance pop électrique entre théâtre et concert. Des thèmes graves comme l’inceste et la sexualité adolescente sont traités de manière un peu légère avec des ambiances à la Hamilton. La voix est belle, la vidéo charmeuse, la section rythmique excellente mais le lien entre forme et contenu devrait être affiné, dans un contexte de société orageux.

Enfin deux projets intéressants : Tu seras un homme mon fils où Emmanuel De Candido remonte la pente de sa filiation vers un père qui ne l’a pas  pas reconnu. Le petit bâtard, comme une « balle perdue »   a fini par retrouver et même admirer ce père qui a mené une vie passionnante entre Antarctique et Afrique. Le projet bien structuré prévoit une quête filiale en trois étapes.

Nicolas Mouzet Tagawa poursuit sa quête d’une scéno active, plus forte que les comédiens, déjà illustrée dans « La chambarde ». La maquette de « Le Site  » est habitée de questions  philosophiques et existentielles et convoque Rimbaud, Galilée, Brecht et David Hockney.  Son degré d’abstraction visuelle et lyrique, son interrogation sur l’autisme devrait intéresser aussi des musées d’art contemporain sensibles à l’espace, à la danse et à un théâtre qui se passe d’intrigue et de personnages.

NB : certains des spectacles évoqués sont co-produits au Festival de Liège par La Chaufferie mais aussi par le Théâtre National, la Maison de la Culture de Tournai, Mars/Mons, le Théâtre de Namur ou le Théâtre des Doms à Avignon. Ils seront donc visibles en FWB cette année ou en 2021. D’autres déjà produits à Bruxelles cette saison Un Loup pour l’Homme de Violette Pallaro ou Carnage d’Hélène Beutin et Clément Goethals sont inclus dans Factory 2020.

 

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

POST A COMMENT