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Festival d’Aix-en-Provence .Un ‘Pinocchio’ romanesque. Un triomphe pour Philippe Boesmans et Joël Pommerat.

On lira par ailleurs notre critique du 7è opéra de Philippe Boesmans, ‘Pinocchio’. Un conte mythique,  dont Joël Pommera a déjà tiré un très beau spectacle théâtral, en 2009,  d’après le feuilleton de l’Italien du XIXè siècle, Collodi. C’est leur 2è collaboration mais ici on change d’univers : d’une famille étouffante dans ‘Au Monde’ à ce roman d’aventures pour adolescent, en recherche de vérité intérieure. Philippe Boesmans nous explique la genèse d’un texte dramatique que Joël Pommerat doit réduire, dans la douleur, à un livret d’opéra pour laisser la place à la musique. La suite de ce dialogue figure dans notre prochain compte rendu critique.

J’ai eu le bonheur de consacrer 8mn de reportage dans un journal télévisé dominical, en 1983 au premier opéra de Philippe ‘La passion de Gilles’. Ca s’appelait  » Le prix d’un opéra « . C’était une autre époque…il y a 34 ans. Difficile de ‘vouvoyer’ Philippe, amical, chaleureux, bienveillant, sans l’ombre d’une prétention face à ses succès répétés.

 

CJ : Pinocchio est un conte moral du 19 e siècle, comment Joël  Pommerat l’applique-t-il  à notre époque ?

PB : Il attache beaucoup d’importance à la vérité de l’art, de son art en somme. Je dis bien la vérité et pas la réalité. Par exemple, pour lui il croit profondément qu’un enfant qui ne veut pas étudier, qui ne veut faire aucun effort dans la vie devient vraiment un âne, quelqu’un qu’on peut dresser. Donc la vérité c’est son intime conviction sur la réalité.  Pinocchio va devenir un ’vrai’ petit garçon et atteindre la ‘vraie ‘vie, quand il ne vivra plus dans le mensonge. C’est évidemment toute la symbolique du nez, qui grandit à mesure qu’il ment davantage. Mais avant ça que de tentations !  Pinocchio est avide d’avoir de l’argent er méprise son père pauvre. Son ambition est d’être riche très vite, ce qui est très actuel. Et bien sûr il se le fait voler, ce qui est aussi très actuel. L’argent s’accumule et disparait aussi vite. Le récit est à la fois moral, immoral  et libertin. A un moment donné, lui et son ‘mauvais’ camarade  vont dans un pays où on ne peut plus s’ennuyer : plus d’école, plus de parents. Il a des filles et des femmes du matin au soir. Il peut fumer, boire du whisky. Et c’est là qu’ils deviennent des ânes. Et on voit leurs oreilles d’ânes qui poussent, qui poussent comme avant on voyait le nez qui poussait.

CJ : Dans l’affrontement classique entre le compositeur et le librettiste, comment avez-vous travaillé ? Joël Pommerat et toi ?

PB : Il a d’abord fait une première réduction par rapport à sa pièce de théâtre qui était trop longue. Et pendant deux ans et demi, on a travaillé là-dessus et la phase finale s’est terminée en avril. Mais au fur et à mesure, nous envoyions les partitions terminées aux chanteurs pour qu’ils puissent s’entrainer. Tout cela a pris du temps car j’ai subi plusieurs opérations des yeux qui m’ont ralenti. Pour chaque scène, on se voyait ou on se téléphonait, on échangeait et dialoguait longuement. C’est plus difficile avec Joël qui est l’auteur du texte et qui est attaché à la moindre de ses phrases, qu’avec les adaptations de Shakespeare ou d’autres auteurs, bien morts, que je faisais avec Jean-Luc Bondy. Ce n’est donc pas facile d’arriver à un accord entre l’auteur et le compositeur puisque chacun a sa logique et tient, moi à ma partition, lui à son texte. Mais ce dialogue est très intéressant parce qu’il parle aussi beaucoup du sens des choses. C’est passionnant parce qu il vit avec ses personnages et son enthousiasme est un facteur de dynamisme pour moi.

CJ : Si tu compares ta partition pour Au monde et Pinocchio,  deux textes de Pommerat ?

PB :’Au Monde’ c’était l’histoire d’une famille, un huit-clos très sombre et ma musique était plus ou moins dans une seule teinte, on était dans un étouffoir. Ici, c’est une pièce d’aventures, ca change tout le temps de lieu ou d’atmosphère. Il y a 23 scènes en 1h50 : Pinocchio est aux prises avec des escrocs, a été introduit dans le ventre de la baleine, il tombe dans la mer, il se passe vraiment beaucoup de choses, bref c’est visuellement et musicalement  plus dynamique que le précédent. Et ça marche sur un public d’enfants : ils n’ont pas bronché à la pré-générale et applaudi très fort !
 

CJ : Plus rythmé, donc plus varié, mais…plus simple ?

PB : Non ! La difficulté majeure c’est évidemment le tempo, parce qu’on chante très vite et les actions sont très rapides. Mais je connais déjà bien le monde de Pommerat avec ses fameux clairs-obscurs, son goût de faire le noir total, et l’obligation nouvelle de jouer par cœur dans le noir absolu. Il a bien fallu s’adapter, mais comme on se connaît bien, le résultat final est pour moi très intéressant. Ca n’a pas été facile, il a fallu négocier mais je crois qu’on y est arrivé.

Autre  difficulté pour moi : trouver une unité, à l’intérieur de caractères très différents. J’ai commencé par une chanson italienne puisqu’on est dans le monde de l’Italien Collodi. Je voulais une chanson populaire qu’on retient facilement et qui revient dans le cours de l’action, comme un refrain. Je l’ai voulu un peu trop ‘sucrée’, avec un clin d’œil à Fellini,  notamment à  » Amarcord « . L’origine du texte est assez comique. En vacances chez des amis, j’ouvre au hasard  » Le Purgatoire  » de Dante et je trouve l’expression suivante:  » une douce sirène, douce je suis  » : c’était parfait pour l’actrice qui tient une sorte de cabaret érotique. Mais on la retrouve aussi pour assurer une continuité, rythmer et relier chaque épisode. Transformée, cette chanson est aussi interprétée par la fée : donc elle est comme un moteur pour le reste de la partition.

CJ : Tu introduis trois voix de femmes interprétant deux  enfants dont Pinocchio et un rôle double, fée et ‘dame bienveillante’. Ta logique ?

PB : Pinocchio, le pantin, est une jeune interprète, Chloé Briot, une mezzo  repérée ici à l’Académie d’été du festival, toute petite, (pas plus haute qu’1m50), parfaite pour un petit garçon. Elle a souvent joué Yniold, l’enfant dans  » Pelléas et Mélisande  » de Debussy. Il y a aussi le mauvais élève, qui a une mauvaise influence sur Pinocchio (une jeune Canadienne, Julie Boulianne) et la fée qui  devient parfois la ‘femme élégante’, qui avertit Pinocchio, qu’il va regretter ses mauvaises actions. Quand Pinocchio est presque mort, la femme élégante se transforme en une fée qui fait renaître Pinocchio. Dans son rôle de fée, elle adopte la voix la plus aigue et la plus périlleuse du répertoire, le registre colorature, alors que comme ‘femme élégante’, elle se contente de sa voix médiane de soprano. La soprano colorature canadienne  Marie-Eve Munger, est superbe, je ne la connaissais pas. Les autres femmes qui interprètent les gamins restent dans un registre de soprano médian ou de mezzo pour ne pas être trop féminines.

Quant aux hommes, il y a évidemment Stéphane Degout, dont le rôle principal est celui de narrateur, une sorte de Monsieur Loyal de tout ce cirque, qui représente aussi le metteur en scène. Yann Beuron, le ténor, n’interprète pas moins de 5 rôles, un escroc, un meurtrier, un juge, un directeur de cabaret et le vendeur d’âne.

CJ : Pour la répartition des voix, tu as aussi discuté avec Joël ou c’est toi qui a pris les commandes ?

PB :Pommerat ne connaît pas la musique, donc il me fait confiance. Il connaissait certains chanteurs qui ont participé à son opéra précédent, et donc leur présence le rassurait. Il a tendance à travailler en  » famille « , pour ses acteurs de théâtre aussi. Mais tous les metteurs en scène sont comme ça : ils ont peur que les chanteurs n’arrivent pas à être aussi de bons acteurs, et donc ils ont besoin de bien connaitre leurs possibilités scéniques.

CJ : La vérité du personnage que recherche Joël Pommerat, tu la transposes musicalement par le timbre ?

PB : Oui bien sûr. En plus, comme les scènes se succèdent très vite, c’est une vraie performance de changer et ses habits et parfois la hauteur de sa voix en un temps très court. Si on regardait derrière la scène tout ce qui se passe, comme changement de décor, de costumes, de voix, on est vraiment dans une boite magique. Les changements de lieu sont aussi très performants puisque on voyage tout le temps d’un lieu à un autre, de la mer au ventre de la baleine, une performance visuelle et vidéo avec des rayons laser aussi : une vraie boîte magique.

 » Pinocchio  » de Philippe Boesmans , livret et mise en scène de Joël Pommerat, d’après Collodi.

Au Festival d’Aix-en-Provence jusqu’au 16 juillet.

Coproduit par La Monnaie, du 5 au 16 septembre.

En direct sur Arte le 9 juillet, 20H.
Christian Jade (RTBF.be)

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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