• Danse  • KFDA 2019 – Carnet de route 1. Danses toutes ! (avec bonus hors Kunsten, « Stretch » d’Isabella Soupart)

KFDA 2019 – Carnet de route 1. Danses toutes ! (avec bonus hors Kunsten, « Stretch » d’Isabella Soupart)

Il faudra s’y faire : le théâtre est à la portion congrue au KFDA. Sauf si, après cette édition, encore redevable dans la majorité des spectacles à Christophe Slagmuylders, parti en septembre 2018 pour diriger les Wiener Festwochen, les nouveaux directeurs, Sophie Alexandre, Daniel Blanga Gubbay et Dries Douibi inversent ou infléchissent la tendance. Peu probable vu l’omniprésence de la danse et de la performance sur la scène flamande, en particulier bruxelloise. Mais ne boudons pas notre plaisir. Encore visibles :

« Cria » (Alice Ripoll) : les danses urbaines de Rio flirtent avec la danse contemporaine. Jouissif. ***

(Au 140, jusqu’au 18 mai)

Alice Ripoll nous avait offert au KFDA 2018 avec aCORdo un spectacle chorégraphique politique où des danseurs nous faisaient comprendre, par leur proximité dans un petit espace intimiste, l’intensité du racisme ordinaire.

Avec « Cria » les danseurs des favelas sont toujours là et le propos est explicitement politique, comme acte de résistance au régime Bolsonaro. Mais c’est l’art populaire des favelas qui règne sur le plateau, une formidable énergie communicative, encadrée et disciplinée par Alice Ripoll. Au centre, les danses qui font fureur dans les favelas, la samaba et la break dance mais surtout le « pasinho », une sorte de funk carioca, qui permet des concours de virtuosité individuelle et collective. Mais, avec ou sans musique, la place est aussi laissée à des réflexions, sur la vie du groupe et ses contradictions On passe de la joie frénétique à la mélancolie et à l’agressivité de ces « crias », gosses de Rio, aux sexualités complexes. Avec une interrogation sur le genre dont un incroyable solo de danse convulsive centré sur la coiffure féminine d’une jeune trans. De loin le spectacle le plus dynamique et drôle du Festival 2019.

François Chaignaud : Hommage à Hildegarde de Bingen. L’Ovni du Festival***

François Chaignaud Hildegarde von Bingen

François Chaignaud Hildegarde von Bingen – © Anna Van Waeg

(à la Chapelle des Brigittines jusqu’au 19 mai)

François Chaignaud, fasciné par la musique ancienne nous avait déjà offert à Avignon, une brillante démonstration de ses talents dans de surprenants « Romances inciertos ». Inspirés entre autres de Monteverdi, ils montraient l’étendue des talents du danseur et du chanteur dont le registre passe en souplesse du masculin au féminin.

Ici, dans la Chapelle des Brigittines, rendue à sa nudité, il fait résonner l’œuvre de la mystique abbesse allemande médiévale Hildegarde de Bingen dont les chants de louange divine sont rassemblés en une « Symphonie de l’Harmonie des révélations célestes ». François Chaignaud (chant et danse) et Marie-Pierre Brébant (bandura, synthèse de luth et de harpe) ont déchiffré l’énorme partition pour en faire un spectacle étrange de 2H30 en continu. Ils sont tous deux dénudés ce qui peut paraître étrange pour un chant liturgique. Le but n’est pas iconoclaste mais au lieu de la transcendance ils proposent l’immanence : le « souffle divin » peut émaner de deux humbles corps et le chant d’amour divin peut s’élever de cette chair qui le profère. Une fois qu’on admet ce principe, on est bouleversé par l’énergie répétitive de cette prosodie qui date de près de 1000 ans et qui a inspiré le groupe électro rock suédois Garmana. Et le « personnage mystique » d’Hildegarde surgit aussi bien dans le « Nom de la Rose » d’Umberto Eco que dans un film de Margarethe von Trotta, sainte populaire et « docteur de l’Eglise » depuis… 2012, après 1000 ans.

Dans la chapelle des Brigittines on vit, à même le sol, appuyé sur un petit dossier une émouvante expérience de transmission où François Chaignaud est un corps chantant plus qu’un danseur, soutenu par la bandura inspirée et précise de Marie-Pierre Brébant.

Trajal Harrell : « Dancer of the year ». le charme du masculin/féminin.

Trajal Harrell

Trajal Harrell – © Benjamin Boar

(à Kanal, les 18 et 19 mai)

C’est sa première apparition au KFDA alors que ce danseur noir américain qui approche la cinquantaine, a été fêté par une rétrospective au Barbican à Londres et nommé « Danseur de l’année » 2018 par la revue allemande « Tanz magazine ». Il nous offre une réflexion amusée sur cet honneur et le « prix » de la danse dans un solo qui résume ses talents et tourne aussi autour de sa sexualité inspirée du « voguing ». Une allusion au magazine « Vogue » très populaire auprès du mouvement gay et transgenre latino et afro américain. Comme dans un défilé de mode, on voit d’abord Farell revêtir plusieurs jupes ou robes de belle allure en esquissant un jeu de bras à la fois très « angulaire » et très féminin. Puis il développe son énergie « mâle » avec un dynamisme époustouflant du corps sans rien perdre la grâce de son jeu de bras. Il donne ainsi envie de le voir dans des chorégraphies plus élaborées. Celle-ci est une réflexion toute en douceur sur le buto, la danse postmoderne et la valeur marchande de la danse puisque la performance se poursuit en un « shop » où les fétichistes peuvent mesurer la « valeur marchande » du danseur.

« Atla » (Louise Vanneste). Le songe de Robinson.

Louise Vanneste Atla

Louise Vanneste Atla – © Maria Baoli

(à La Raffinerie jusqu’au 19 mai)

S’appuyant sur l’œuvre de Michel Tournier « Vendredi ou les limbes du Pacifique », Louise Vanneste nous propose une déambulation entre 6 danseurs qui circulent parmi nous, avec le surgissement d’une brève vidéo montrant l’arrivée de Vendredi dans la vie de Robinson. « Atla, précise le programme, n’est en aucun cas une transcription scénique du roman… mais s’imprègne des résonances du temps et vibrations terrestres, leurs suggestions élémentaires, en tournoiement du vide et des espacements, qui permettent à la danse de déployer sa puissance d’aventure philosophique ». Voilà pour les intentions, dans un style très « kunstenien », qui n’éclaire pas grand-chose. J’avoue avoir peu « vibré » et « philosophé » et cherché, en vain, le sens de cette balade dans une atmosphère crépusculaire. Louise Vanneste est pour moi synonyme de spectacles dynamiques dont je n’ai pas retrouvé l’élan. Dommage.

NB : hors KFDA « Stretch » d’Isabella Soupart. Charme, dynamisme, humour.***

– © Danny Willems

(au MAD le 24 mai)

Le meilleur spectacle de danse « francophone » actuel, parfaitement dans l’esthétique pluridisciplinaire du KFDA se joue dans le quartier Dansaert dans le MAD, un musée de la mode et du design. Il accueille Isabella Soupart qui dans « Stretch » offre six heures de parcours dynamique, festif à une douzaine de danseurs sur plusieurs niveaux du musée. 6 heures ? Oui, mais à option, avec un bar pour « souffler » de temps en temps (je l’ai utilisé 1 fois en 4 heures passées sans un moment d’ennui ou même de distraction). Une énergie fascinante se dégage de cette belle proposition d’Isabella Soupart, en dialogue avec de belles sculptures de Jonathan Sullam. On aimerait y rencontrer davantage de « théâtreux » et d’amateurs de danse alors que la majorité du public semble provenir des amateurs d’art contemporain. Ce lieu du MAD est à exploiter d’urgence par d’autres compagnies. Les 10 jeunes danseuses, habillées « mode » souvent seules ou en duos/trios interprètent leur partition à la perfection. Avec un contrepoint masculin sporadique excellent lui aussi. La musique est souvent « fabriquée » live, souvent sous nos yeux, avec beaucoup d’humour. Cette balade dans ce lieu magique, de moi inconnu, vaut le déplacement.

« Stretch » d’Isabella Soupart Reste le vendredi 24 mai de 18h à minuit. Adresse : Place du Nouveau Marché aux Grains 10 à 1000 Bruxelles. (Quartier Dansaert)

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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