• Danse  • Charleroi danse. Biennale 2019. Féministe, politique, moderniste. Joli cocktail***

Charleroi danse. Biennale 2019. Féministe, politique, moderniste. Joli cocktail***

Depuis son installation à la tête de « Charleroi Danses » devenu « Charleroi danse », la Française Annie Bozzini a une ligne fort claire : son féminisme lui fait privilégier les créatrices en FWB, sa sensibilité politique la dirige vers l’Afrique et le Brésil des favelas. Esthétiquement elle plaide pour un dialogue entre la danse populaire et la danse contemporaine. Enfin elle est soucieuse de mettre la danse à la portée de la population de Charleroi différente du public bruxellois de la Raffinerie.

Dès le premier week-end du 4 au 6 octobre, les intentions étaient traduites par des actes. Le grand Boris Charmatz proposait Levée un cadeau offert à des enfants et adolescents de Charleroi pour leur donner, sans académisme, le goût de la danse. Charmatz adopté par Charleroi danse depuis un an proposait aussi sa création 2019, Infini, une époustouflante démonstration de cohérence de groupe basée sur une lassante litanie de chiffres. A la fois conceptuel et concret : du pur Charmatz. Le même week-end Michèle Noiret créait son Chant des ruines (nous y revenons ci-dessous) et le Brésilien Bruno Beltrao décodait les danses urbaines des favelas de Rio sur le thème de la migration.

Ce week-end des 10-13 octobre, Ayelen Parolin, l’Argentine de Bruxelles, adoptée par Charleroi danse, dynamise les chaos de la passion dans WEG alors que le collectif français (LA) Horde interroge le potentiel actuel et protestataire d’un folklore géorgien revisité dans Marry Me in Basiani.

Le week-end prochain des 17-20 octobre, sera résolument féministe avec l’artiste maison Louise Vanneste dans Clearing et la Française Lara Barsacq qui rend hommage à Ida Rubinstein, muse de Diaghilev, dans IDA don’t cry my love. La Japonaise Azusa Takeuchi méditera poétiquement sur le corps et le vide. Une curiosité, Glitch où Florence Demestri et Samuel Lefeuvre utilisent un accident du système informatique, le « glitch », pour appliquer à la danse les notions d’accident d’imprévisible et d’inattendu.

Le dernier week-end des 23-26 octobre, fera la part belle à l’Afrique avec le Requiem de Mozart « africanisé » par l’adaptation musicale de Fabrizio Cassol et la chorégraphie des chanteurs africains par Alain Platel. Créé à la Monnaie. Un moment de grâce. Enfin, le dernier jour, le 26 octobre, le burkinabé de Philadelphie Olivier Tarpaga dans When Birds Refused to Fly rapprochera les indépendances africaines des années 60 et la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis. Avec un mélange de rumba congolaise, de chanson française et de rhythm’n’blues américain.

plus d’infos pratiques sur le site de Charleroi danse

Un extrait du Requiem pour L

Critique : « Le chant des ruines ». Chaos dehors, chaos dedans. Beauté, force, élégance ***

– © Sergine Laloux

On connaît depuis une dizaine d’années le virage de Michèle Noiret vers le « cinéma danse ». Un attrait pour les univers cinématographiques de Lynch, Hitchcock et Tarkovski, et pour la technologie pointue, attrait renforcé par la découverte de l’univers et de la technique de la Britannique Katie Mitchell utilisant 5 caméras pour dynamiser la « Mlle Julie » de Strindberg. Un exercice de champ/contrechamp qui rejoignait ses propres recherches.

La diminution de sa subvention et le non-renouvellement de son statut d’artiste associée au National lui ont appris à poursuivre ses recherches avec des moyens plus modestes mais des astuces et une ingéniosité de son équipe qui font que, en qualité chorégraphique et vision du monde, on ne voit pas la différence. L’univers de carton, matériau bon marché qui permet une scéno minimaliste est parfaitement adapté aux ruines mouvantes d’un monde chaotique. La puissance des images dominée par l’élément aquatique et les plaques tectoniques menaçantes sont bien là, tout comme leur lien avec le groupe de cinq danseurs à la technique parfaite effectuant un périple erratique dans un monde plein de menaces. Le sujet du désastre annoncé est bien là, ce chaos intérieur et extérieur avec ses thèmes et variations visuellement somptueux. Mais la volonté explicite de Michèle Noiret de ne pas les lier par un fil conducteur nous laisse parfois un chemin : il faudra manifestement un peu resserrer le tout. Mais telle quelle la performance de Liza Penkowa, Sara Tan, Alexandre Bachelard, Harris Glekas et Denis Terrasse, les créations vidéo de Vincent Pinckaers, la scénographie de Wim Vermeylen les lumières de Gilles Brulard et la musique de Todor Todoroff permettaient à la mise en scène de Michèle Noiret assistée de David Drouard de nous faire pénétrer dans un monde fascinant et inquiétant où les vieilles valeurs presque englouties flottent à l’horizon.

Le chant des ruines de Michèle Noiret, créé à Charleroi danse sera repris au Théâtre National du 18 au 22 février 2020.

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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