• Théâtre  • « On est sauvage comme on peut », l’amour cannibale ***

« On est sauvage comme on peut », l’amour cannibale ***

Présente brièvement au Festival de Liège en février 2019, sélectionné par le Théâtre des Doms à Avignon en juillet, « On est sauvage comme on peut » est repris au Théâtre National du 21 janvier au 1er février.

Voici ma critique lors de la création.

On démarre dans le quotidien de cinq jeunes bien sympas qui se font une petite bouffe, deux couples et un « spectateur »-musicien qui jouera tour à tour du clavecin et de l’accordéon, histoire de brouiller les pistes et les époques. Thomas est déprimé et agressif vis-à-vis de sa compagne Léa sous les yeux de Marie et Antoine, un bavard impénitent qui mobilise la parole jusqu’au moment où Thomas annonce qu’il veut mourir et demande que son corps soit dévoré par ses amis. Curieuse eucharistie !

Bref on passe du quotidien qui dégénère au mystique philosophique : les « souffrances du jeune Werther » se passent en groupe, un vieux fonds romantique et nihiliste, entre Musset et Rimbaud, refait surface mais avec des références actuelles. Il est question de Richard Durn qui en 2002 avant de se suicider, tire à vue sur tous les élus du conseil municipal de Nanterre parce qu’il est frustré dans sa « vie de merde » et « ne veut pas mourir seul ».

Le côté morbide n’empêche pas l’humour, au contraire, ils ont partie liée. Le réalisme apparent du repas se nourrit d’abord de fables, de petites histoires latérales qui progressent insensiblement dans une horreur contrôlée : un vent de folie se lève sur le plateau et les petits sympas s’agressent, les couples éclatent sous nos yeux.  Sang, larmes, vomissures, cannibalisme on n’échappe à aucun excès mais paradoxalement ils sont tous maîtrisés. Les violences sont comme une manière pour les couples de tenter la limite pour échapper au non-être et à la solitude.

C’est un travail « collectif » où les garçons Antoine (Cogniaux), le bavard narcissique, et Thomas (Dubot), l’agressif suicidaire, tiennent le crachoir – belle présence vocale et physique – alors que les filles semblent subir. Mais il faut voir Léa (Romagny), toute petite, porter le cadavre nu de son amour et déployer des trésors d’intériorité et de « naturel » dans les situations les plus difficiles. Et Marie (Bourin) parvient à nous faire « avaler » des réalités répugnantes presque avec élégance ! Chacun(e) vit dans ce léger « décalage » théâtral, entre le réalisme apparent, parfois sordide et la fable existentielle absurde.

La logique de la folie, assaisonnée d’humour et de paradoxale joie de vivre, dégage une belle énergie de jeu, que le clavecin et l’accordéon de Sami (Dubot) rythment en douceur. Épatant (qui épate) !

« On est sauvage comme on peut » par le collectif Greta Koetz .

Au Théâtre National du 21 janvier au 1er février.

Une archive : Jean-Louis Colinet et le collectif Greta Koetz dans « Entrez sans frapper »

à propos du spectacle présenté au Festival de Liège 2019.

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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