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Philippe Grombeer. Hommage.

En décembre dernier, Philippe Grombeer faisait plaisir à voir avec son optimisme rayonnant, éclairant son sourire lumineux. Le cancer n’avait qu’à bien se tenir puisque ses médecins s’émerveillaient des résultats de chimios qui ne le fatiguaient même pas. Trois mois plus tard, il entrait dans une maison de repos pour lui éviter les fatigues du quotidien. Une de ces fameuses maisons rassurantes où le virus maudit est entré en force à l’insu de tout le monde pour y faire des ravages en funeste tornade.

Le destin a eu raison de ses forces mais il a encore eu l’énergie de nous lancer un appel à l’aide via son site Facebook, suscitant des centaines de « like » et des textes de reconnaissance et de sympathie. Dans un milieu volontiers agressif et ingrat, Philippe pouvait lire, dans un bouquet rassemblé par sa sœur Marie – merci à elle – le témoignage multiple de notre affection. Philippe avait 74 ans.

 Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver 

écrit René Char.

A sa manière, Philippe était un poète. Comme son père spirituel Jo Dekmine, son éternel complice, il laisse en nous des traces qui nourrissent toujours nos rêves. Et quelles traces ! Son énergie douce lui a permis de remporter la bataille des Halles de Schaerbeek, lieu multiculturel à bâtir, gérer, imposer dans un paysage culturel où le mélange cirque, danse, théâtre, théâtre jeune public, chant, opéra même, n’allait pas de soi. Il a réussi à fédérer par sa patience et son sens du dialogue une équipe aux talents forts. En prêchant la créativité, l’imagination au pouvoir, normal pour un soixante-huitard, mais aussi et souvent la conciliation des contraires, pas évident pour un directeur.

Après 28 ans de gestion passionnante une autre « création poétique », les Doms en Avignon, s’offre à Philippe, voulue par un « despote éclairé » Hervé Hasquin. Le politique voulait une vitrine de notre création théâtrale belge dans LE lieu où on vend et on exporte du théâtre francophone mais pas seulement : danse et cirque n’ont pas tardé.

Aujourd’hui, ça va de soi, les Doms, et des dizaines de jeunes candidat(e)s se bousculent au portillon. Mais en 2002 ce fut un beau tollé de presque toute la profession qui cria au scandale, « au fou » presque. Le politique eut la sagesse de choisir un candidat, Philippe, au passé professionnel incontestable, qui s’imposa rapidement comme une évidence. Avec sa touche souriante, bienveillante, paternelle, (pas paternaliste !) il sut donner à ce lieu une convivialité naturelle, à son image, avec une petite équipe soudée, dont Isabelle Jans, qui lui succéda après 9 ans, avant qu’Alain Cofino Gomez ne prenne le relais. Du grand orchestre des Halle il passa à une musique de chambre annuelle d’une dizaine de spectacles soigneusement sélectionnés. Peu à peu, le « petit » théâtre belge devint un des 4 ou 5 lieux de référence du Off en Avignon. Et ses successeurs, aux tempéraments divers, ont ensemencé à leur manière le même sillon d’enthousiasme créateur.

Dans ce théâtre totalement sous-équipé, Philippe put compter d’abord sur le soutien de ses potes des Halles pour le matériel minimum. Puis son sens politico-diplomatique permit de rendre petit à petit le lieu plus performant. Mais dès le début, la Cour des Doms devint le lieu de convivialité par excellence, pas seulement des Belges, où le sourire du patron accueillait tout le monde dans une irrésistible joie de vivre. Petite bouffe sympa et blabla ensoleillé garantis. En ce temps de confinement obligé et d’Avignon annulé, la mort de Philippe renforce encore la nostalgie d’une impossible convivialité.

Philippe, éternel optimiste, considérait a priori chacun(e) comme son égal(e) et son/sa partenaire, ni plus ni moins. Sa lucidité hiérarchisait sûrement ses amis mais sans le faire sentir. Il aimait vraiment écouter autant qu’être écouté, servir plus que se servir. Sa bienveillance était une philosophie autant qu’une pratique.

J’ai envie de lui dire, au nom de tous ceux qui l’ont connu et aimé.

Notre amitié est une écorce libre. Elle ne se détache pas des prouesses de notre cœur.

Et de conclure, cher Philippe, toujours avec le sublime René Char :

Vivre, c’est s’obstiner à achever un souvenir ? Mourir, c’est devenir, mais nulle part, vivant ?

Une archive de 1996 – Interview dans Courants d’art

Philippe Grombeer, directeur des Halles de Schaerbeek, raconte la découverte de l’endroit et du projet de sa transformation en salle de spectacle, en collaboration avec Joe Dekmine en 1973.

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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