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Reprise : « Décris/Ravages » d’Adeline Rosenstein – Orient/Occident, le carrousel des mauvaises fois ****

Le théâtre « documentaire » d’Adeline Rosenstein nous a déjà séduit à sa création en 2014 au Théâtre Océan Nord par sa force et son impertinente justesse. (critique publiée lors de la présentation du spectacle à l’été 2016 au Théâtre des Doms à Avignon)

A la Balsa, en 2016, on a pu revoir les 4 premiers épisodes qui ont encore gagné en rythme et en drôlerie et les 2 suivants qui nous mènent jusqu’à 1950. Soit  juste après la création de l’Etat d’Israël et l’expulsion, par crainte ou par force, en 4 étapes, des Palestiniens de leurs terres.

Pour décrire 150 ans de rapports conflictuels en « Terre Sainte », Adeline Rosenstein se met elle-même en scène, dans un rôle de pseudo conférencière « pince sans rire », racontant-la fameuse question d’Orient, comme un ring de rapport de forces et un chaudron de tous les racismes, identitaires et meurtriers. Énorme projet, étonnamment digeste dans cette version sérieuse et drôle à la fois. Le sujet est épineux pour cette jeune juive allemande de gauche, vivant en Belgique. Mais elle le met à distance, avec une grande subtilité en « décrivant les ravages » comme une « polyphonie dissonante« .

Reprise du spectacle au Théâtre Océan Nord cet automne, du 16 au 18 octobre & du 23 au 25 octobre, les représentations sont déjà sold out !

La question d’Orient, la naissance d’Israel, féroce et drôle à la fois

– © Hichem Dahes

Un seul exemple : elle décrit l’arrivée de Napoléon en Egypte et en Syrie avec des savants, fous de l’Egypte… pharaonique. Mais Napoléon vient libérer les Arabes qu’il prétend « aimer » en cassant tout chez eux ! La racine d’un double discours…jusqu’à Bush ! La fresque adore jouer à saute mouton, du passé au présent par des textes témoignages, éclairant le passé par le présent.

Et pourtant la représentation évite constamment le « didactisme » et la conférencière cède la place à ses comparses, Léa Drouet, Thibaud Wenger, Olindo Bolzan (lors de la représentation aux Doms, en 2016), Isabelle Nouzha, tous drôles, émouvants, inspirés. Ils miment, par exemple, les « crapules » de chefs d’Etat à coup d’empoignades comiques, entre BD et Charlot. La distance humoristique  porte aussi sur le genre « théâtre documentaire » puisque les cartes régionales sont remplacées par des gestes qui dessinent l’espace. Et les photos et vidéos sont « décrites » en projetant violemment sur les murs des boulettes de papiers mouillés ! Le geste rageur plus fort que l’image ! Curieux mais drôlement efficace. Le postulat : pas d’émotion par des images, parfois truquées, mais de l’humour dans la description des faits.

« Mon ambition, nous confie Adeline Rosenstein, « est de vaincre le scepticisme ambiant et l’indifférence de mes amis européens face aux conflits du Moyen Orient. Je veux toucher un public plus large que des militants déjà convaincus de l’une ou l’autre thèse. Il faut mettre les Européens, Anglais, Français et Allemands surtout, face à leurs responsabilités historiques et donc actuelles. Mais je « joue » un rôle de « conférencière historienne » sans aucune prétention historique. Les faits sont controversés mais à la portée de tous s’ils cherchent un peu sur le net.

(Vérification faite, un seul exemple, l’article Wikipédia sur la Nakba, « l’exode » palestinien de 1947 à 1950 (750.000 exilés sur 900.000 habitants) est fort bien fait : il  donne la parole aux historiens palestiniens et israéliens, anciens et nouveaux).

« Ma responsabilité, poursuit Adeline Rosenstein, est d’intéresser les gens par un théâtre « documentaire » le moins didactique possible avec des copains acteurs forts qui font plus que « raconter » l’Histoire. Grâce à eux je peux poser des questions de façon plus directe et ludique qu’un historien. Ils peuvent mimer des épisodes par des gestes, caricaturer des situations historiques, toujours actuelles puisque depuis Napoléon et les Anglais, ce sont toujours les mêmes qui ont fait cette Histoire moyen orientale jusqu’en 1950 « .

Le titre Décris/Ravages, est le fil conducteur de 6 épisodes. On part de Napoléon : « Décrire l’Egypte, ravager la Palestine » à « Décrire Israël, ravager la Palestine  » en passant par d’autres descriptions ravageuses comme « Décrire les races, ravager le monde entier «  d’une cruelle actualité.

La nouveauté depuis la création en 2014 : les deux derniers épisodes qui mènent des années 1920 à 1950 avec une accélération vertigineuse des conflits. L’allégresse féroce des 4 premiers épisodes  a un peu perdu de son rythme, seul petit bémol de cette  première belge. Ils seront prêts pour juillet.

Car le succès international  est bien là : sélectionné à l’été 2016 au festival d’Avignon (Théâtre des Doms), Décris /Ravages invité la même année à Vidy-Lausanne par l’ex-directeur du Festival d’Avignon, Vincent Baudriller, pas spécialement porté sur la francophonie belge !

Après les représentations (sold out) d’octobre au Théâtre Océan Nord, le spectacle voyagera en France au Théâtre des 13 vents, à Montpellier du 8 au 17 janvier 2021, et du 12 au 14 mars au T2G Théâtre de Gennevilliers.

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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