« Les meilleurs alliés ». Un beau duel d’amour-haine De Gaulle /Churchill. Avec un côté Laurel et Hardy en prime. Irrésistible ***
L’heure est grave : on est à 3 jours du débarquement allié du 6 juin 44 sur les plages normandes. Churchill et Roosevelt veulent priver De Gaulle du bénéfice d’une rude victoire pour établir une gouvernance anglo-saxonne provisoire sur la France. Dans le rapport de forces militaire, la « France libre » ne pèse pas lourd sinon une valeur symbolique de résistance que Churchill a encouragée le 18 juin…1940. Lui-même passait alors pour un fou , une sorte de Jeanne d’Arc, face à un Hitler victorieux.
Ici Churchill, en position de force, convoque De Gaulle dans son bunker, face à la mer pour lui dicter ses volontés. Et Charles fait de la. ..résistance, sa spécialité: on vit donc un règlement de comptes à coups de bons mots « historiques » nuancés par des personnages « attendrissants », pris comme dans une dispute de grands gosses. L’affrontement, bien cadré, profond et plaisant à la fois, est de la plume d’Hervé Bentégeat dont c’est la première pièce jouée. Il trouve d’emblée le ton juste pour parler d’un événement historique sans précédent, sans emphase à la française ni lourdeur didactique. Aux deux personnages « shakespeariens », il ajoute deux personnages secondaires, dont Anthony Eden, pour concilier l’inconciliable et « sauver la face » des deux monstres. La mise en scène de Jean-Claude Idée est sage, réaliste, efficace : la vidéo est n’est utilisée que comme support d’un « duel » mené de main de maître par cet excellent directeur d’acteurs. Et quels acteurs ! Un duo de Belges pour incarner la mésentente cordiale franco-britannique, entre realpolitik et farce. Des Belges décidément à la mode en France, chroniqueurs et acteurs.
Imaginez un Stan Laurel…immense mais faible, vous avez Pascal Racan, raide, humilié et finalement…vainqueur. Le « grand rôle » de sa vie ? Il est éblouissant : il n’imite pas De Gaulle, il l’habite. Accent et attitudes gaulliennes soigneusement étudiés, intériorisés : le « personnage » De Gaulle, sans parodie, est ressuscité. Face à lui Michel de Warzée, petit rondouillard méchant et alcoolique, dans le rôle teigneux de Churchill, humiliant De Gaulle, jouant à fond le rapport de force. Michel, au talent comique parfois auto-parodique, se calme, n’en fait pas trop, se mesure à un « personnage de soulard vindicatif. Un de ses grands rôles, aussi, comme si le « sérieux » de l’incarnation historique avait calmé sa propension à la farce dont raffole « son » public. Sans le priver de son talent comique, sa « vis comica ». Sur le plateau la mince cigarette gaullienne contre le gros cigare churchillien : un excellent duo/duel Racan/de Warzée, comme des ‘vases communicants’, parfaitement complémentaires.
Pas étonnant qu’en terre française, à Avignon puis à Paris (100 représentations), « Les meilleurs alliés » aient cartonné, au niveau de public et de la presse, du Figaro à l’Humanité en passant par l’Express et des dizaines d’autres. Dans la catégorie « théâtre privé » mais sans « vedette » française, c’est un exploit à saluer. Bien sûr c’est du « théâtre à l’ancienne » -et alors ?- mais de grande qualité, basé sur le talent des acteurs, portés par un bon texte et non sur des prouesses de mise en scène ou de scénographie. Ça fait partie de la grande famille, très large, très variée, du théâtre. On se réjouit aussi que le spectacle s’exporte, tel quel… en Chine où De Gaulle est très « populaire » pour avoir été le premier « Occidental » à reconnaître la Chine communiste, en 1964, 9 ans avant les USA de Richard Nixon.
Au total, une belle performance pour deux « grands » acteurs belges, Pascal Racan et Michel de Warzée. Et un « beau coup » pour la « petite » Comédie Claude Volter.
» Meilleurs alliés » d’Hervé Bentégeat, m.e.s de Jean-Claude Idée à la Comédie Claude Volter, jusqu’au 11 février prolongés les 16 et 17 février (complet ! mais 2 nouvelles dates vont être ouvertes prochainement).
-Puis à Hong Kong et Pékin en …2019.
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