Avignon 2014 : Choses vues et rumeurs favorables (et conclusion)
A Avignon, impossible de tout voir : période restreinte pour chacun grève et reports, listes d’attente quand un spectacle a un succès …imprévu. En bref quelques impressions de 3 spectacles vus et de ceux que la rumeur publique et la presse ont mis en évidence. Avec quelques dates en Belgique, ou près de nos frontières ou à Paris.
EN COUR D’HONNEUR, LE RISQUE APRES LE MYTHE VILAR :
» I’AM » LENI PONIFACIO. Images choc sur fond guerrier.
Les familiers du KFDA bruxellois connaissent Lemi Ponifacio et ses curieux spectacles mi-dansés, mi-proférés dans la langue maori-(non traduite)- des habitants d’origine de Nouvelle Zélande. Dans l’écrin du KVS, àBruxelles, jamais de problèmes. Mais la Cour d’Honneur, avec un public nettement plus hermétique à la performance ? Eh bien à la 3è représentation, ça a marché du tonnerre avec très peu de fuites et de sifflets ! C’est que le sujet traité, à la fois la guerre 14/18, avec ses rituels guerriers de soumission et d’humiliation, la place laissée à la folie, hommage à Artaud, qui a terminé dans un asile proche d’Avignon et à Heiner Muller pour sa critique du conformisme font un sujet complexe. Le spectacle prend lentement sa place en vous à coup d’images fortes qui même dans leur lenteur calculée, rituelle, répétitive, permettent par leur puissance à tout le monde d’y trouver un écho. La beauté plastique de l’ensemble, la danse, le cri, le hurlement, la cruauté aussi, ritualisée intéressent même un public jeune ou à mille lieues de comprendre tout : l’intuition suffit. L’image christique finale d’une beauté plastique soufflante et l’appel final du muezzin proféré doucement cette fois du haut d’une Tour du Palais n’ont soulevé aucune protestation : beau mélange des genres dans cette cour d’Honneur cette année, du plus attendu, Le Prince de Hombourg au plus surprenant.
» Solitaritate « , de Gianina Carbunariu. Médiocre classe moyenne
Solitaire plus que solidaire : une image grinçante de la Roumanie..et donc de l’Europe. Une tranche de vie sarcastique sur la Roumanie contemporaine, passée à l’Europe et qui a créé une génération de petits bourgeois mesquins, frileux, assis sur leurs petits privilèges. D’entrée de jeu les acteurs divisent le public comme plus tard la ville sera divisée » contre » es Roms. La satire s’installe, un peu longuette, sur la gloire nationale, Eugenia Ionescu, puis le coût de la vie, etc. Les acteurs sont excellents mais l’invention scéno est faible. La classe moyenne, médiocre par définition, n’a pas trouvé ici son Courteline.
Solitaritate, de Gianina Carbunariu, jusqu’au 27 juillet à Avignon puis au Théâtre National, du 28 au 31 janvier.
Matter de Julie Nioche : poétique et, paraît-il, politique
» Matter » c’est à la fois la matrice, la mère et le problème, avertit le programme, une reprise d’une chorégraphie de La proposition est que quatre danseuses d’origines différentes créent et dansent en solo à partir de contraintes : porter une puis une deuxième robe en papier d’une blancheur éclatante qui se dissolvent t au contact de l’eau. Ce projet est politique mais pas féministe au sens classique. Le rapport de chacune des danseuses avec son corps, sa pudeur- la nudité est partielle-.est intéressant, révélant les nuances de leurs origines, de manière élégante etx subtile A la fin les quatre jeunes femmes se retrouvent débarrassées de leur robe pour un grand moment de bonheur sous la douche qui nous a semblé mignon mais peu cohérent par rapport à l’ensemble : cette réconciliation des différences par l’eau qui coule dans une joyeuse partie de bonheur dansé sans grande créativité chorégraphique affaiblit le propos global » politique » et artistique. Mais ne boudons pas le plaisir de ceux qui aiment ces fêtes nautiques.
Matter, Juliette Nioche, à Avignon jusqu’au 27 juillet puis ,près des frontières belges à Dunkerke et Château-Thierry début octobre.
Il me reste à vous signaler d’autres spectacles remarqués par la presse mais hors de mon bref séjour en Avignon.
–un » Mahabarata japonais « , qui n’est prévu nulle part ailleurs, les « Sorelle Macaluso » d’Emma Dante (T. National, du 24 au 27 févier 2015),
– » Coup fatal « d’Alain Platel, au KVS (du 7 au 15 novembre), coup de cœur de la presse
– » Les Sorelle Malacuso « d’Emma Dante, au Théâtre National : coup de cœur de la presse. Au Théâtre National, du 24 au 27 février
–Archive du chorégraphe israélien Arkadi Zaides, d’une triste actualité puisqu’il danse sur des images d’archives montrant les exactions des colons israéliens vis-à-vis des Palestiniens (Palais Chailot Paris, du 22 au 30 janvier 2015).
Conclusions sur le Festival 2014.
-Le nouveau directeur, Olivier Py, s’en est plutôt bien tiré, sur le plan pragmatique, tout comme son voisin d’Aix, Bernard Foccroulle, en évitant l’annulation du festival et en limitant la grève à 2, peut-être 3 jours (on parle d’une nouvelle grève le 24). 138.000 euros de perte sur plus de 11 millions, c’est la baraka.
-la programmation de sa première année est plutôt éclectique, comme s’il avait voulu rassembler tous les fils des traditions antérieures.
-Jean Vilar mis en exergue avec le Prince de Hombourg en Cour d’Honneur et un retour au » texte » notamment de pièces grecques peu convaincantes dont le catastrophique Kyclismos final de Kazantsas ou le soporifique Hyperion en 5H de Malis.
– trois mises en scène du » patron » aux fortunes diverses : une par an mais une bonne, nous suffirait.
–l’inévitable « marathon » de 18h, Henri VI de Shakespeare par Thomas Jolly, réussi nous dit-on, qui rappelle la Servante d’Olivier Py en 24 h et autre Soulier de Satin.
– la reprise …japonaise, et brève, du mythique Mahabarata de Brook : un des grands succès de ce festival.
-une » performance « , spécialité des directeurs antérieurs, risquée et réussie en Cour d’Honneur, le » I am » de Leni Ponifacio.
-le maintien d’une majorité de vedettes flamandes, de Platel à Josse de Pauw en passant par Yvo Van Hove : succès garanti.
-enfin retour de la » francophonie belge » avec le jeune David Murgia et quatre coproductions du Théâtre National dont deux grosses réussites. On ne boude pas notre plaisir
L’an prochain en période moins chahutée, on ose espérer un arrimage plus cohérent et des lignes de force plus claires. Mais pour une première année, ne tirons pas sur le pianiste !!Il s’est bien débrouillé, dans un langage clair. Le combat des intermittents, qu’il défend en principe auprès des pouvoirs publics sera peut-être réglé entretemps à la satisfaction générale, Un vœu pieux ? Wishful thinking ?
Christian Jade (RTBF.be)
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