• Opéra  • Le « Siegfried » de Wagner, un ado anxieux et révolté. Une incarnation transcendante du ténor Magnus Vigilius.

Le « Siegfried » de Wagner, un ado anxieux et révolté. Une incarnation transcendante du ténor Magnus Vigilius.

A La Monnaie, la mise en scène de Pierre Audi, réalisée en cinq mois, suite au départ de Romeo Castellucci en avril, tient du miracle. Parvenir en si peu de temps à donner clarté et cohérence aux deux derniers volets du Ring de Wagner, Siegfried et Le Crépuscule des Dieux (prévu en février prochain) est remarquable, digne d’éloge et de reconnaissance.

Miracle? La réussite ne tombe pas du ciel mais d’une longue expérience de la mise en scène et de l’amitié confiante de deux hommes. Pierre Audi, avant de diriger le Festival d’Aix-en-Provence, a été à la tête du Nederlandse Opera d’Amsterdam et il y a monté un Ring de 1998 à 2000, avec comme directeur du casting… Peter de Caluwe, l’actuel directeur de La Monnaie. Une complicité historique et une incroyable mobilisation des équipes de production ont permis à ce Ring de se conclure en beauté.

Pour apprécier ce Siegfried il faut se dire qu’on assiste esthétiquement à un nouveau (demi-) Ring pas à une suite. Le mode provocateur et radical de Romeo Castellucci, qui a tendance à s’approprier une œuvre à la place du créateur, fascine les uns et énerve les autres. Toutefois les deux premiers volets du Ring, gorgés de trouvailles, avaient rallié la quasi-unanimité des spectateurs et critiques. Les deux derniers étaient irréalisables dans les délais et budgets prévus. Merci au Wanderer Audi de prendre la suite.

Peter Hoare (Mime) et Magnus Vigilius (Siegfried). Photo (c)Monika Rittershaus

Un conte de fées intemporel

On passe donc du gothique flamboyant surprenant à un livre d’images paisible qu’on feuillette, attentif à la puissante partition et aux rapports de force de personnages bien caractérisés. Le conte de fées médiéval est introduit par une vidéo qui nous plonge dans un monde d’enfants qui « jouent » cette histoire à leur niveau. Ils introduisent ce grand enfant de Siegfried, un orphelin en quête d’identité, de conquête de soi et, malgré lui, de conquête du monde. Siegfried est le fils des amours incestueuses de deux jumeaux, Siegmund et Siegelinde, bâtards du dieu Wotan. Il a été recueilli à sa naissance par le Nibelung Mime qui lui cache ses origines et se prétend à la fois père et mère de l’enfant pour mieux exploiter sa force et reconquérir l’anneau mythique. Siegfried c’est un peu « l’innocent du village » qui ne se reconnaît pas dans ce nain hypocrite et essaie de retrouver son père et sa mère dans ce jeu de dupes. Il est aidé par un oiseau, incarnation de sa douce mère et par son grand père Wotan, aussi bienveillant avec son petit fils qu’il a été monstrueux avec son fils Siegmund. Ce long chemin mène à Brunehilde, sa tante et demi-sœur, punie par Wotan pour avoir voulu protéger son père Siegmund, et prisonnière sur son rocher entouré de flammes. Toutes les contradictions de l’adolescent se résolvent, provisoirement, dans la fusion amoureuse.

Magnus Vigilius (Siegfried). Photo (c)Monika Rittershaus

Une mise en scène « ligne claire »

Pour raconter cette histoire embrouillée, un vrai feuilleton « new age » qui a inspiré Le Seigneur des Anneaux de Tolkien, Pierre Audi adopte une « ligne claire » : un décor abstrait, dominé par une énorme météorite, dont les éclairages variés rythment les épisodes, alors qu’une lance « laser » fait peser la menace de l’épée Notung. La forge de Mime illumine l’espace mais la nature est absente à l’exception d’un charmant oiseau, un enfant, doublé par une voix féminine, conseillère « maternelle ». L’affrontement avec le géant Fafner devenu dragon se limite à un dialogue paisible avec le géant mourant. Quant à la rencontre avec Brunehilde elle se passe dans un décor nu dominé par une lumière éblouissante à la hauteur du duo de Tristan et Isolde.

Une musique sublime

Ce décor abstrait permet de concentrer l’attention sur la sublime musique et le jeu efficace des personnages. L’ambiguïté du rapport central entre le nain hypocrite Mime qui joue les père/mère et son « faux » fils révolté Siegfried est remarquablement incarnée et la direction d’acteurs subtile. Le ténor anglais Peter Hoare (Mime) nous livre un feu d’artifice de fourberie tirant parfois sur le bouffon shakespearien, en déformant même sa voix, toujours juste, mais volontairement nasillarde. A l’opposé le ténor héroïque danois Magnus Vigilius (Siegfried) incarne cet adolescent révolté avec des impulsions rageuses contre Mime et des intonations lyriques émouvantes face à Brunehilde. Force, endurance, souplesse, expressivité : on en redemande. La soprano suédoise Ingela Brimberg, confirme en Brunehilde la beauté et la solidité d’une voix découverte dans La Walkyrie et qu’on attend avec impatience dans le Crépuscule des Dieux. Hommage aussi au baryton-basse hongrois Gabor Bretz, à la voix puissante et souple, un Wotan déguisé en Wanderer, l’errant sans pouvoir. Et qui s’efface définitivement du paysage du Ring tout comme Wilhelm Schwinghammer, la puissante basse bavaroise, dont le Fafner/dragon est exécuté discrètement par Siegfried.

Mais la permanence héroïque de ce Ring bousculé dans sa mise en scène c’est l’orchestre de La Monnaie qui l’assume avec ardeur grâce à un chef exceptionnel, Alain Altinoglu, fin analyste des nuances infinies de la partition, maître des tempos et du dialogue mesuré avec les solistes.

Au total une mise en scène d’urgence réussie de Pierre Audi, dont l’esthétique arte povera laisse libre cours au flux wagnérien des solistes et d’un orchestre maître de sa puissance.

Christian Jade

Siegfried de Wagner, mise en scène de Pierre Audi, direction orchestrale d’Alain Altinoglu, à La Monnaie jusqu’au 4 octobre, www.lammonaiedemunt.be .

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