• Opéra  • FALSTAFF de Verdi à La Monnaie: rire décalé, rythme et poésie. Le duo Pelly/Altinoglu fonce, nuance et gagne.

FALSTAFF de Verdi à La Monnaie: rire décalé, rythme et poésie. Le duo Pelly/Altinoglu fonce, nuance et gagne.

Ce n’est pas l’œuvre la plus fréquemment jouée de Verdi, faute sans doute de « grands airs » qui emportent le public au paradis. Mais c’est la dernière d’un génie de 80 ans qui a bâti son succès sur des dizaines de tragédies et se lance le défi d’une comédie. Avec au centre un bouffon shakespearien, Falstaff qui colore de sa verve un collectif de femmes et d’hommes acharnés à le punir.

Un « bon » Falstaff  c’est d’abord un grand baryton (basse) et une troupe homogène. J’ai souvenir de José van Dam à Bruxelles et Bryn Terfel à Paris. Simon Keenlyside, un élégant Don Giovanni dans ma mémoire, assume ici avec un brio vocal et scénique époustouflant ce vieux bonhomme obèse et libidineux, à la fois ridicule, pathétique et finalement attendrissant.

Tout tourne autour de lui et ses immenses défauts sont le moteur de l’action. Sir John Falstaff, le vieux gentilhomme ivrogne et ruiné, réfugié dans sa taverne, a besoin d’argent et de sexe et se croit toujours séduisant. Il écrit donc deux lettres d’amour identiques à deux belles et riches « commères » bourgeoises, Alice Ford et Meg Page qui décident de lui tendre un piège dans la maison d’Alice. Elles le balancent dans la Tamise pour lui apprendre les bonnes manières, puis le font rosser dans un parc pour l’achever. Ajoutez la jalousie obsessionnelle de M. Ford qui, en plus, veut marier sa fille à un vieux docteur. Les rôles d’homme sont « gratinés »! Nannetta, la fille d’Alice et son jeune amoureux Fenton sont la seule bouffée d’amour vrai dans cette caricature désopilante et féroce.

A partir de là on pourrait surcharger le bouffon ou le mari ou les « bourgeoises ». On pourrait imaginer une version hyper féministe mettant un nom (ils abondent après la révolution Me#too) sur le vieil obsédé mais Alice et Meg sont déjà à l’époque de Shakespeare des déesses de la vengeance !

Ajouter de l’excès à l’excès initial, mettre un grain de folie baroque pour faire « éclater le bazar » ? Ce n’est pas le genre de Laurent Pelly, spécialiste français de l’humour primesautier d’Offenbach et dont on a apprécié à La Monnaie le Don Pasquale de Donizetti ou Le Coq d’Or de Rimski-Korsakov.

Trois univers visuels fonctionnels et une direction subtile

Pelly dessine trois univers visuels fonctionnels : la taverne encombrée de Falstaff, avec vue sur les fenêtres éclairées du  quartier « bourgeois ». L’intérieur cossu d’Alice qui fleure bon son « luxe » façon années 50, encombré d’escaliers qui ne mènent nulle part (comme dans la gravure d’Escher la Relativité qui l’a inspiré). Ils permettent, dans leur dissymétrie, un splendide ballet des corps qui mènent leurs complots et rythment leurs vocalises dans un désordre minutieux. Du haut de ces escaliers « sans issue » Falstaff sera jeté à l’eau. Le dernier tableau, tout aussi visuel, introduit la poésie de la nature, le ciel étoilé et le ballet des claques sur le corps de Falstaff transformé en grand cerf abattu.

A ce cadre narratif intelligent Laurent Pelly ajoute une direction d’acteurs et de chœurs subtile qui les met toutes et tous en valeur. Le dandy Simon Keenlyside, à l’aise dans sa prise de rôle d’un « gros vilain », séduit dans toute l’ampleur de son registre et rend presque émouvante sa rage contre  « l’honneur du vent » ou même sa vantardise « ma subtilité crée la subtilité des autres ». Le Ford de Lionel Lhote (baryton) impressionne par l’homogénéité de son timbre et sa puissance d’incarnation. Sally Mathews (qu’on retrouvera avec grand plaisir en décembre dans le rôle-titre de Norma) est d’un cynisme manipulateur jouissif  et son registre de soprano séduit dans toutes ses inflexions. Mais c’est toute la distribution et les chœurs de La Monnaie (dir. Emmanuel Trenque) qui étaient en pleine forme au soir de la première conclue par une standing ovation méritée.

A la base de ce succès, l’entente instinctive entre Laurent Pelly et le chef d’orchestre Alain Altinoglu, déjà co-auteurs d’un Don Pasquale mémorable. Dans le programme de l’opéra, le chef français confesse : Falstaff est une partition totalement jubilatoire pour le chef et que je place sans hésiter dans mon « top 5 ».  Ça s’est vérifié à la première. Alain Altinoglu (qui, pour notre plus grand bonheur, prolonge son contrat à La Monnaie) déploie une énergie complice et précise avec ses musiciens qu’il galvanise et les chanteurs et cantatrices qu’il encadre et rassure.

Ce splendide Falstaff est une des dernières propositions de Peter de Caluwe qui programme la saison jusqu’à décembre. La nouvelle directrice Christina Scheppelmann proposera en janvier Benvenuto Cellini de Berlioz.  

Christian Jade

Jusqu’au 9 octobre à La Monnaie ( le 26/9 direction orchestre de Ouri Bronchti). Infos : www.lamonnaiedemunt.be

Photos : © Clärchen – Baus

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