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Art et politique : Serebrennikov et Linyekula creusent avec élégance ces racines ambiguës

Le rapport entre Poutine et Mobutu ? La soumission de l’art au pouvoir. Poutine pour censurer, réprimer les hommes libres, dont les homosexuels. Mobutu pour servir son prestige en créant un « ballet national » à son image.

« Outside » : Chine et Russie répriment les homosexuels; la résistance esthétique triomphe

Le cinéaste russe Kirill Serebrennikov, réalisateur de « Leto » (2018), centré sur la culture rock alternative, est aussi metteur en scène de théâtre présent à Avignon pour la 3e fois. Avec « Outside », il explore le monde d’un photographe chinois, Ren Hang, persécuté en Chine pour son homosexualité et suicidé à 29 ans, deux jours avant de rencontrer Serebrennikov pour un projet commun. Une blessure que le Russe transforme en un hommage poétique, érotique et tendre.

Kirill Serebrennikov est aussi un « personnage » polémique. Il dirige le Gogol Center de Moscou depuis 2012 mais a été assigné à résidence en 2017 pour détournement de fonds, puis relaxé récemment. Une figure de martyr de la liberté d’expression puisqu’il dut construire le scénario de « Outside » isolé dans son domicile puis au Gogol Centre … mais jamais à Avignon car il est privé de passeport. En fin de représentation, tous ses acteurs/danseurs arborent un t-shirt « Free Kirill ».

En faisant le portrait du photographe Ren Hang, son « double » chinois suicidé, le Russe en profite pour régler ses comptes avec la police politique russe qu’il ridiculise. Ce n’est pas le sarcasme qui domine mais un curieux mélange de poésie tendre et de pornographie chic, assez léchée. Pas de photos de Ren Hang mais des tableaux vivants qui les évoquent, plus proches de la performance que de la chorégraphie.

Avec de beaux jeunes gens (mais aussi deux jeunes filles) nus, épilés et très BCBG, dans une dynamique plus érotique que pornographique (contrairement à ce qu’affirme l’auteur) puisque les enlacements et poses osés ne débouchent jamais sur des actes sexuels. Nous voyons plutôt des « hommes fleurs » imberbes et charmants qu’on croirait sortis de l’univers rieur des Bacchus du Caravage gorgés de fruits plutôt que du tragique de Pasolini. Cette revue érotique occupe le centre de « Outside » mais l’intro et la conclusion sont plus méditatives, intériorisées et rendent compte de la poésie du Chinois, de sa dépression suicidaire et de ses relations avec sa mère (très drôle et fine). Et aussi de la condition des homos dans des pays totalitaires, Chine ou Russie, qui les persécutent. Serebrennikov, excellent dialoguiste nous fait ici et là des portraits touchants comme ce danseur obèse qui rêvait d’incarner Nouréev.

Au total, un divertimento érotique avec, en contrepoint, un charme poétique et des sarcasmes bienvenus sur les systèmes russe et chinois qui font la chasse aux homosexuels.

– © Christophe Raynaud De Lage

« Histoire du théâtre II » : Faustin Linyekula et le Ballet National du Zaïre

Milo Rau, artiste suisse passionné d’Afrique et des méfaits du colonialisme… belge est depuis un an directeur du NTGent, un des théâtres flamands majeurs. Il offre une carte blanche à Faustin Linyekula, danseur, chorégraphe et metteur en scène congolais qui prend comme angle d’attaque l’histoire du Ballet National du Zaïre.

L’occasion pour les Belges (et Congolais) de ma génération de se pencher sur leur passé et notamment sur le rôle historique de Mobutu dans la construction d’un sentiment national « zaïrois authentique ».

En scène, deux survivantes (Marie-Jeanne et Wavina), un survivant (Ikondongo) engagés en 1974/75 au début de ce « ballet national » qui, par le personnage mythique de Lyana, permet à Mobutu de se trouver un référent historique, unificateur des tribus zaïroises. Le narrateur principal, Papy Maurice, est le fils d’un membre du cabinet Mobutu, licencié comme des foules d’autres. Entre les lignes, on sent filtrer de l’admiration pour ce vrai « chef » puissant et respecté qui, par souci de beauté spectaculaire, a intégré à l’Est du Congo actuel grand nombre de Tutsis rwandais – excellents danseurs – qui posent un problème politique aujourd’hui.

Le récit joue beaucoup sur les projections en noir et blanc de ce ballet à son heure de gloire, parfois repris en direct par les trois interprètes, dont un solo époustouflant de Wivina, incroyablement dynamique à plus 70 ans. En plus du narrateur témoin, Papy Maurice, un acteur du NTGent à l’humour décalé, Oscar Van Rompuy, joue le « blanc Belge » de service, notamment dans un combat mythique d’une drôlerie irrésistible avec Papy Maurice.

Au final, on reste un peu sur sa faim par rapport à la cruauté critique de la griffe de Milo Rau. Mais la nostalgie d’une époque irrémédiablement révolue et l’énergie douce de ces citoyen.ne.s congolais dynamiques nous offrent une tranche de passé congolais et belge intéressante.

« Histoire du Théâtre II : Faustin Linyekula »

-Jusqu’au 23 juillet à Avignon

-Repris au NTGent du 5 au 28 mars 2020

Christian Jade (RTBF. be)

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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