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Avignon 2019 : Le Off et le In à égalité dans la presse française ?

Le IN a tellement déçu la presse française « envoyée spéciale » à Avignon que le Monde publie la liste d’une dizaine de spectacles du OFF parmi les 20 meilleurs, IN et OFF inclus, dont le « Final Cut » de Myriam Saduis, à la Manufacture. Et la correspondante de Libération, Eve Beauvallet découvre un nouvel œuf de Colomb : « très récemment, dit-elle, de nouveaux théâtres ont éclos proposant une programmation de qualité ». Et de citer le Gilgamesh/Belleville, succursale d’un petit théâtre parisien (2017) et le Train bleu, succursale du Lucernaire parisien (2018).

Elle accorde dans la foulée le même hommage (l’accueil à la création contemporaine) à La Manufacture, franco-belge, fondée en… 2001. Rien sur les Doms (2002) avec les mêmes objectifs mais belgo-belge. Bref, l’axe Paris/Avignon est toujours ce qu’il était. Pascal Keiser, directeur de la Manufacture, n’est pas mécontent de la pub de Libération mais s’amuse d’être considéré comme « émergent » après 18 ans de présence.

« Je pense, en toute humilité qu’on a eu un rôle de modèle depuis 2001. Le fait qu’il y ait depuis 2 ans des lieux nouveaux dans notre sillage (le Train bleu, le Gilgamesh), ça crée, avec le Théâtre des Doms et quelques autres comme le Théâtre des Halles, une masse plus importante pour le théâtre contemporain. C’est un peu l’histoire du restaurateur qui en voit un autre arriver en face, et finalement c’est bénéfique pour les deux. Ça accroît le trafic dans la rue, ça amène plus de clients des deux côtés. C’est du Win Win. C’est positif qu’on puisse renforcer collectivement la position de la création contemporaine. »

Avec une précision :

« On n’est pas en concurrence mais en complémentarité par rapport aux Doms grâce à notre grand plateau, la Patinoire. Complémentarité aussi pour la danse puisque les Doms programment un spectacle par an alors que la demande des compagnies est plus nombreuse, et donc nous les accueillons ».

Cette année le spectacle de Myriam Saduis, « Final Cut » a reçu les éloges conjugués de Mediapart (JP Thibaudat), L’Humanité, Le Figaro et Le Monde (Fabienne Darge). Mais sans presse « nationale » française LUCA d’Hervé Guerrisi & Grégory Carnoli et « Histoire de l’imposture » de la Cie Mossoux Bonté ont récolté de beaux succès. À Avignon les lieux tiennent d’ailleurs davantage leur force des programmateurs que de la presse. Or sur 35000 entrées à la Manufacture il y a 12000 entrées de programmateurs, qui viennent voir 3 à 4 spectacles.

« Donc 3 à 4000 programmateurs amènent 700 et 900 ventes (moyenne annuelle), ce qui est un ratio très important. Chaque jour 2 ou 3 spectacles programmés à la Manufacture tournent en France, en Belgique, partout dans le monde, tous les jours de l’année. Nous avons donc un impact énorme sur les tournées, les cachets d’artistes et de techniciens.« 

Toujours en recherche d’extension et de nouveauté Pascal Keiser lance cette année une d’ouverture vers le Festival d’Édimbourg et son « Fringe » à Summerhall.

«  Il représente 200 000 entrées, 6 fois la billetterie la Manufacture, près de 2 fois celle du IN à Avignon. En tant que francophones on oublie qu’Avignon n’est pas le plus grand festival de théâtre du monde. Édimbourg c’est une ville de 300 à 400 000 habitants, par rapport aux 15 000 du centre d’Avignon. Un peu poussés dans le dos par des artistes passés dans les deux lieux et qui leur trouvaient des points communs, on a entamé des discussions sur nos projets artistiques et la nécessité de casser l’étanchéité des mondes francophone et anglo-saxon. On va donc inviter 2 ou 3 projets du monde anglophone par an à Avignon, et vice versa. Les francophones jouent en anglais, ou sont surtitrés, mais il y a aussi des spectacles de danse ou de musique. On veut créer une dynamique en s’ouvrant à un contexte anglophone et réciproquement.

Pascal Keiser, un utopiste internationaliste aux pieds bien sur terre

Pascal Keiser directeur de la Manufacture

Pascal Keiser directeur de la Manufacture – © Alexandra de Laminne

La motivation internationale passe aussi et d’abord par le local, le quartier défavorisé de St Chamand où est installée la Patinoire et depuis l’an dernier un troisième lieu.

En 2018, 400 habitants du quartier sont venus voir des spectacles, une performance dont on est très fiers, donc on est repartis sur la même ambition et même davantage. On a engagé quatre jeunes de ce quartier dont les deux responsables de nos sites de la patinoire et de St-Chamand, qui assurent toute la coordination entre les équipes techniques et artistiques sur place.

Mais la dernière grosse fierté du directeur de la Manufacture ce sont les crédits européens obtenus dans le cadre d’ »Europe Créative ». Avec 8 autres compagnies un projet « Centriphérie » essaie de ramener au centre toutes les périphéries, des villes, régions et pays.

Dans ce cadre-là, on a sélectionné deux artistes de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, Fred Nevché, un chanteur/slammeur/poète, assez médiatisé et un chorégraphe, Eric Minh Cuong Castaing, associé au Ballet National de Marseille. Il ira fin août à Heerlen, dans le Limbourg hollandais à un grand festival Cultura Nova, qui mêle, depuis 30 ans, musique, théâtre danse et performance. Fred Nevché va lui en Finlande, à la frontière russe. En retour, les deux artistes français vont accueillir à Saint-Chamand, un paysagiste/architecte/urbaniste portugais et une vidéaste bulgare. C’est génial, car on touche déjà 5 pays européens. Ça créé une dynamique, et autour de ces échanges d’artistes, on va en plus faire des échanges de citoyens et d’étudiants.

Tel est Pascal Keiser, toujours en avance d’un projet. Son compagnonnage à Manège.Mons (devenu Mars) avec Didier Fusillier, patron du Manège/Maubeuge et désormais à la tête de La Villette porte ses fruits. Leur projet de « musée numérique » Les Micro-Folies  » qui apporte les grandes œuvres muséales (du Louvre mais pas seulement) dans les périphéries des villes, des régions et d’Outre-Mer, vient d’être multiplié par cinq par le ministre de la Culture, Frank Riester, passant de 200 à 1000 achats de ce moyen d’amener le « grand art » dans les régions et quartiers défavorisés.

Keiser, belgo-français, internationaliste se veut « indépendant « mais s’avoue « dépendant » des subventions de la FWB, de la France ou de l’Europe. « Utopiste » dans la tête mais très (trop ?) réaliste, les pieds bien sur terre. Les Écossais du Fringe vont trouver un homme très « matter of fact ». Belgo-franco-anglo-saxon ?

Christian Jade (RTBF.be)

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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