Avignon 2019 : Pelléas et Mélisande. Maeterlinck ressuscité, rajeuni, échappe à… Debussy.
L’opéra de Claude Debussy, sur un livret « malmené » de Maeterlinck a pratiquement éclipsé le texte original, plus nuancé, plus suspendu, plein de failles mystérieuses. Magnifié par une musique d’une beauté nouvelle et unique, bénéficiant d’une aura universelle, porté par des mises en scène souvent exceptionnelles (comme celle de Katy Mitchell à Aix en 2016) l’opéra a pratiquement mis à l’arrière-plan la pièce de théâtre.
Comme tout auteur de livret soumis à la férule du compositeur, Maeterlinck avait laissé éclater publiquement sa colère dans Le Figaro en 1902 : « On parvint à m’exclure de mon œuvre, et dès lors elle fut traitée en pays conquis. On y pratiqua d’arbitraires et absurdes coupures qui la rendent incompréhensible ; on y maintint ce que j’avais l’intention de supprimer ou d’améliorer… En un mot, le Pelléas en question est une pièce qui m’est devenue étrangère, presque ennemie ; et, dépouillé de tout contrôle de mon œuvre, j’en suis réduit à souhaiter que sa chute soit prompte et retentissante« .
Le souhait rageur de Maeterlinck ne s’accomplit heureusement jamais mais on craignait un peu en abordant la version théâtrale de Julie Duclos de rester sur notre faim. Au contraire, le respect du texte original (non sans coupures !) assez intemporel, hormis quelques références moyenâgeuses faciles à diluer, est la force première de cette version qui va à l’essentiel. A partir d’un trio amoureux classique (compliqué par la jalousie entre deux demi-frères), c’est un drame antique qui est à l’œuvre où tous sont pris dans le filet tragique de l’amour, du destin et de la fatalité.
La force du film au service d’un texte mythique.
– © Christophe Raynaud De Lage
Julie Duclos et son équipe très soudée (Emilie Noblet pour le film, Hélène Jourdan pour la scéno) lisent entre les lignes et donnent une sensibilité contemporaine à ce drame symboliste. La sensation d’effondrement d’un monde, de menace sur la nature qui hantait Maeterlinck (fasciné par la vie des abeilles, entre autres insectes) inspire son intro filmée dans la forêt et les très beaux inserts qui rythment le récit d’une vraie symphonie de couleurs sombres et de saisons menaçantes. Des allusions aux paysans qui meurent et la transformation de la blonde princesse de rêve en une petite sauvageonne brune, surgie de nulle part, sinon d’un exil douloureux et inexpliqué, nous plongent dans notre monde de l’errance et ses interrogations.
Mais rien n’est affirmé, tout est suggéré, c’est bien du Maeterlinck. Et le mélange du film et du théâtre permet de multiplier les angles visuels qui soutiennent le texte et le jeu des acteurs. La partie si ambigüe des amours furtives de Pelléas (fragile Mathieu Sampeur) et Mélisande (Alix Riemer, habile meneuse de jeu) est traitée en subtilité. Vincent Diesez en Golaud n’est pas un jaloux caricatural mais un animal blessé, aussi fragile que les autres et parfaitement odieux dans la scène où il oblige le petit Yniold à jouer les voyeurs. Ce visage d’enfant manipulé par un adulte, projeté sur grand écran, est inoubliable et d’une terrible actualité. Quant à Arkel, le roi (et grand-père de Golaud et de Pelléas) il est interprété en finesse par Philippe Duclos, père de Julie. Une affaire de famille, très « Maeterlinck » en somme !
Quant à savoir si l’auteur aurait pesté contre Julie Duclos comme il pestait contre Debussy, la réponse est, a priori, affirmative : il se serait sans doute senti trahi par ce film ajouté, ce moyen âge effacé et quelques … coupures comme il s’est senti trahi par la musique… dominatrice. Mais qu’importe. La langue épurée de Maeterlinck et sa construction dramatique mystérieuse et lacunaire sont bien présentes et passionnent toutes les générations. Le coup de jeune donné par le mélange très réussi film/théâtre et la sensibilité d’une belle équipe menée par Julie Duclos donne un éclairage séduisant à cette œuvre mythique, 70 ans après la mort de l’auteur.
Pelléas et Mélisande de Maeterlinck, mise en scène de Julie Duclos.
A Avignon, jusqu’au 10 juillet.
A Lille (Théâtre du Nord) du 27 au 30 novembre
A Paris (Odéon) du 22 février au 21 mars
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