• Théâtre  • La « Finance » et « l’Enéide » pour les nuls : deux spectacles didactiques d’intensité variable

La « Finance » et « l’Enéide » pour les nuls : deux spectacles didactiques d’intensité variable

Avignon se soucie beaucoup des « largués » de l’aventure humaine cette année. Le « la » va majoritairement au sort des réfugiés via des textes antiques, L’Odyssée d’Homère, (un feuilleton quotidien gratuit à midi et un spectacle radical de Christiane Jatahy à voir …ce soir). L’Enéide de Virgile sert aussi de point de départ à un spectacle de Maëlle Poésy « Sous d’autres cieux ». Nous y reviendrons.

Mais il est une autre catégorie de « largués », les citoyens moyens qui, de crise financière en crise financière, ne comprennent plus rien à cette mer de fric dont les vagues menacent régulièrement ses petites économies à l’ancienne.

£¥€$ (Lies/Eyes) : ouvrir « l’œil » sur les « mensonges » financiers.

La compagnie gantoise « Ontroerend goed » est une spécialiste renommée de performances théâtrales qui plongent le spectateur dans un bain interactif censé le faire réfléchir aux mécanismes de la société. Soit ici une chaude ambiance de « casino » où d’aimables croupiers nous regroupent par tables de 7 pour « jouer banquier ».  Il s’agit de voir comment ça fonctionne dans une banque (ou plutôt la tête d’un banquier) à partir d’une volonté d’être plus fort que votre voisin, de la battre ou de vous allier avec d’autres pour battre…tous les autres.

Ça rappelle le bon vieux jeu de Monopoly où avec une paire de dés on achetait avec de faux billets des « maisons » dans des quartiers de plus en plus chics, donc chers, censés vous rendre de plus en plus puissant. Ici, vous essayez de doubler, tripler ou quintupler vos mises, puis le croupier vous propose d’acheter des paquets d’actions de plus en plus risqués émanant d’autres groupes de « banquiers » dans la salle. Le Monopoly c’est en famille, ici c’est une grande salle où tous les groupes de 7 sont connectés à une espèce de « banque centrale » qui établit des concurrences entre les tables et fait circuler des actions de plus en plus « pourries ».

La leçon de l’histoire : l’argent, même fictif, excite tout le monde et la prise de distance de par rapport à ce monde « irréel » du jeu varie d’individu à individu pendant et après le jeu. Qui dure 2 heures et est une image finalement assez angoissante (ou excitante ? ah l’éternelle ambiguïté) de ce casino mondial qui nous mène à la ruine.

Au final, une interactivité réussie, assez superficielle sur le fond (oui, « la Banque pour les nuls ») mais techniquement très bien organisée par ce groupe de réflexion théâtrale « Ontroerend Goed ». On en sort sourire aux lèvres : on s’est fait avoir mais avec une légère distance humoristique.

£¥€$ (Lies/Eyes) par Ontroerend Goed, jusqu’au 14 juillet.

 

 » Sous d’autres cieux  » de Maëlle Poésy et Kevin Keiss : « l’Enéide » prend l’eau.

– © Christophe Raynaud De Lage

Autant «  £¥€$ Lies/Eyes » est réglé au millimètre près par une équipe bien rôdée, autant ce résumé brouillon de « l’Enéide » rate sa cible faute d’organisation. Au lieu qu’un dramaturge ait un point de vue et décide de ce qu’on veut vraiment faire de ce texte aujourd’hui, les auteurs avouent avoir pris à 3 sources.

Une traduction des premiers chapitres de Virgile qui montre la fuite d’Enée et des Troyens errant dans les flots : actualité et thème du Festival obligent.

Un texte, boursoufflé de Kevin Keiss pour mettre en valeur les héros (Didon et Enée, of course, entre autres), et caricaturer gentiment les dieux de l’Olympe.

Et une participation des acteurs pour une « écriture de scène » tellement moderne, bien sûr.

Ajoutez un panel d’acteurs proférant ce texte artificiel avec un degré de conviction variable et parlant 4 langues dont le farsi. Et vive le thème sympa du métissage, mais cette pauvre troupe va dans tous les sens, sans cohérence. Pour se mettre à la portée du spectateur moyen, une mini-chorégraphie en forme de ressac de vagues sert de « light motive » plutôt que de leitmotiv. Une Olympe de fantaisie avec néons porteurs qui ne vaut pas celle d’Offenbach. Des bruits et des jets de vapeur pour mettre un peu de premier degré dans ce tout.

Et vous aurez une version même pas didactique (qui exige au moins la clarté de l’énoncé) mais « plic ploc » de ce chef d’œuvre de Virgile, débouchant sur le chef d’œuvre de Purcell « Didon et Enée ».  Comme si un enfant avait essayé d’assembler, sans y parvenir, des pièces de Lego qui lui filent entre les doigts. Et entre les nôtres.

« Sous d’autres cieux » de Maëlle Poésy et Kevin Keiss jusqu’au 14 juillet.

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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