• Théâtre  •  » Calderon  » de Pasolini : miroirs trompeurs, rêves révélateurs, critique sociale dans un univers baroque. ***

 » Calderon  » de Pasolini : miroirs trompeurs, rêves révélateurs, critique sociale dans un univers baroque. ***

A l’origine « La Vie est un songe » de Calderon de la Barca : l’histoire d’un noble héritier, Sigismond, enfermé, en raison de ses mauvais instincts, par Basilio, un roi astrologue. Le prisonnier est emmené, dans son sommeil au Palais, il y exerce le pouvoir, un jour, « en rêve » et s’y montre bestial. Mais lorsque, plus tard, il exercera vraiment le pouvoir, il se transformera en un excellent monarque. Sur cette réflexion métaphysique et baroque sur le monde -qui n’est qu’apparence-, le destin et le pouvoir Pasolini, le cinéaste de « Théorème » greffe son propre schéma, marxiste et tout aussi baroque. Il met au centre de sa réflexion le personnage secondaire de Rosaura qui, chez Calderon, est une femme déguisée en homme, qui cherche à se venger d’avoir été violée et abandonnée. Victime d’une société injuste.

Pasolini donne à cette victime 3 réincarnations dans les années 70, en Espagne, sous le régime franquiste finissant: comme fille déchue d’un couple d’aristocrates, enfermée dans un hôpital  » psychiatrique « . Comme putain dans un bordel de Barcelone. Et comme petite bourgeoise dans un appartement coquet. Dans la première partie, la plus fascinante, Rosaura, délirante, est projetée en rêve, de son lit d’hôpital dans le fameux tableau de Velasquez « les Ménines », qui a aussi inspiré Picasso. Le lien avec l’époque de Calderon y est rendu sensible tout comme sa critique du théâtre « classique ». Et la scénographie de Didier Payen reproduisant ce tableau vivant est juste et forte. Cette scéno  est un personnage à part entière, drôlement efficace, puisque les changements de décor à vue se font en souplesse, rendant concret le passage du rêve à la réalité et d’une Rosaura à l’autre. Instaurant aussi une détente comique dans un univers chargé de mots et de concepts. Le bordel de la putain, l’intérieur de la petite bourgeoise et toutes les scènes intermédiaires donnent un beau rythme à un texte parfois daté par son marxisme  littéral. Ainsi, la dernière partie, plus bavarde, se perd dans des analyses qui faisaient rêver en 1970 (union des prolétaires et paysans contre la bourgeoisie) mais qui paraissent bien « rêvées », après la chute de l’Union soviétique en 1991. L’idéologie est-elle un songe ?

Et pourtant la réalité des injustices du monde est bien là, encore plus forte et plus difficile à combattre qu’en 1973.Et Lazare Gousseau, metteur en scène de ce « Calderon », croit ferme en son prophète dont les analyses sur les méfaits de la dictature franquiste valent pour toutes les époques. Et il le démontre par l’élan donné à ce texte, retraduit en un langage moins poétique mais plus direct, contemporain, retravaillé avec des acteurs souvent excellents. Le rôle de Rosaura, central est  tenu avec force et nuances par Marie Luçon dans un rôle à facettes multiples. La bonne surprise vient du jeune Arthur Marbaix, pétillant dans le rôle de Pablo, un jeune homme que Rosaura, la putain, prétend avoir séduit alors qu’il la fuyait et pour cause : c’est son fils ! Excellents aussi Lazare Gousseau en Sigismond et Arnaud Chéron en Basilio, les « fantômes » de la pièce de Calderon.

Au total une œuvre rare et « incontournable » pour les amateurs, nombreux, de Pasolini. Avec de belles fulgurances, une troupe bien soudée par Lazare Gousseau. Et un visuel beau et dynamique, signé Didier Payen.

 » Calderon  » de Pasolini, m.e.s de Lazare Gousseau.

Au Rideau de Bruxelles, jusqu’au 5 novembre. http://www.rideaudebruxelles.be/

Christian Jade (RTBF.be)

 

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

POST A COMMENT