« Carnage ». Un beau tableau d’une jeunesse larguée.
« Carnage » de Clément Goethals et Hélène Beutin confirme une tendance fréquente cette saison : de belles scénos, de belles lumières mais un texte inégal, souvent issu d’un travail collectif. Pourtant le sujet, le portrait d’un groupe de jeunes enragés, est un beau terrain de jeu.
Tout est parti d’un fait divers, un jeune paumé de 19 ans trouvé mort de faim dans un parc avec son chien attaché à la cheville. La solitude et le désespoir absolus. Et d’un documentaire sur un autre jeune en difficulté, incapable de satisfaire aux attentes de ses profs, de sa mère et de sa copine. Et qui, quand la colère l’envahit face à son impuissance à vivre, fuit en forêt avec sa voiture. « J’fais carnage avec la voiture, j’fais carnage avec ma vie« , dit-il, esquissant avec sa voiture une sorte de ballet qui inspire Clément, Hélène et leur collectif, la FACT. Solitude, colère, rage, désespoir, le mélange est, en principe, un cocktail détonnant, étendu à un groupe de 6 personnages, en transe affective, baignant dans l’alcool et les drogues. Mais comment échapper aux lieux communs et comment organiser cette meute d’enragés, cet essaim tourmenté de guêpes blessées et blessantes ?
Dans l’espace du Varia, le point fort c’est d’avoir trouvé un beau cadre à cette solitude agressive et multiple, un barrage stylisé, comme une réserve de rage infinie. Éclate alors une douleur individuelle qui se communique à un groupe de plus en plus étendu. Puis la nuit accueille une « rave party » stylisée avec son cocktail de drogues et d’alcools et le corps en mouvement d’une multitude bien orchestrée :un beau mouvement, un beau moment. La scéno de Marie Manzaghi, le climat clair-obscur (lumières de Clément Longueville), l’illustration musicale (Harry Charlie) tout ça marche comme sur des roulettes.
Mais le texte des deux metteurs en scène, pourtant réalisé en connivence avec les acteurs/trices, peine à accrocher, comme si les notes de la partition s’évaporaient faute de bien relier les instruments, les acteurs. Les liens personnels entre personnages, leurs conflits agressifs, leurs frustrations amoureuses n’apparaissent qu’au final, enfin, un peu tard. Et là surgissent deux acteurs extérieurs au groupe FACT, dont la qualité nous touche : le désespoir intime d’Alex Jacob, plus musicien qu’acteur de formation, fait mouche. Et la rage de Lucile Charnier qui bat son compagnon passif, écroulé donne enfin un début de réalité à ce « carnage ». Soudain la fresque visuelle devient du théâtre actif, avec une présence dramatique effective et pas seulement stylisée.
On sort de là un peu frustré par tant de qualités potentielles qui peinent à trouver leur synthèse, faute d’un fil conducteur dramatique qui rende les personnages intéressants dès l’accroche.
« Carnage » d’Hélène Beutin et Clément Goethals
Au Varia jusqu’au 22 février.
Au Festival Kicks! (L’Ancre, à Charleroi) les 3 et 4 mars
Au Festival de Théâtre « Factory » à Liège, les 6 et 7 mars
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