• Théâtre  • « Rage dedans ». Jean-Luc Piraux jongle avec son « burn out ». Talent, tendresse, humour. ***

« Rage dedans ». Jean-Luc Piraux jongle avec son « burn out ». Talent, tendresse, humour. ***

Est-il né clown Jean-Luc Piraux? Avec lui, pas besoin de masque, de boule rouge sur le nez.  De spectacle en spectacle, il est un gentil auguste, déroulant avec une simplicité désarmante son tapis de malheurs qu’il nous offre en partage. Simplement délicieux et tonique.

Confier ses angoisses, ses malheurs ce n’est pas se (com)plaindre mais se guérir en proposant aux autres un antidote majuscule : le rire, le sourire, le partage, l’empathie. C’est un peu la méthode, le truc à Jean-Luc, irrésistible dans son rôle d’humaniste qui fait son clown comme il respire.

Il part toujours de son vécu flambant le Piraux/mane ou d’observations de proches pour poétiser le monde, le rendre plus digeste.  Dans ce cas, il revient de loin et a frisé la cata finale. A deux jours d’une première au Poche, il y a un an, panique à bord et plouf, il plonge dans une déprime existentielle majuscule. On dit « burn out » quand on dépend d’un patron implacable, mais ici il est son propre patron ! Alors un chef d’entreprise (petite, « pépite » entreprise) qui rate la marche et sombre, on appelle ça comment et comment on s’en sort ? Bourreau et victime à la fois, un cas d’école rare ? Qui n’a pas au moins « frisé » cette situation un jour ? L’important est de s’en sortir puis de partager par la parole pour dissoudre le caillot d’angoisse.

Une semaine d’hôpital et autour de lui de bons médecins empathiques et des malades encore plus atteints que lui. Son point de départ c’est la lucidité. 

Ça se répare comment, un homme en pièces ? On commence par les bords ? Ou par le centre ? 

Le spectacle part des bords, les circonstances, les détails, les anecdotes tragi-comiques décrites le plus concrètement possible et qui cicatrisent les plaies par le sourire. Une chaise branlante, trois pieds sur quatre sur laquelle il se hisse, voilà figuré le gouffre du déséquilibre vécu. La hantise des ratés de virilité et le voilà qui se déguise en femme. Mais là on est passé des bords au « centre », l’amour, la difficulté de le vivre au quotidien, d’admettre que c’est pour toujours mais pas tous les jours.

Le texte plein de trouvailles heureuses se nourrit de mime et de la souplesse d’un corps bondissant qui agrippe l’attention.  Avec ce regard à la fois naïf et lucide, angoissé et amusé qui met le malheur à distance et fait le charme de ce comédien fou de son public. Sa guérison a l’air de dépendre de nous, spectateurs avec lesquels il a envie de communiquer. Ou communier ? Ou dire sa petite messe intimiste, sa confession à livre ouvert? Pas toujours facile de confesser à rebours les amours des spectateurs qui ont des pudeurs que Jean-Luc a dépassées. Mais le prof Jean-Luc secoue sa classe… en douceur.

Le comble de son art est de partir d’un vécu douloureux sans  exhibitionnisme et de nous rappeler que ce qui lui est arrivé nous pend au nez. Partir de la tentation de suicide mais pour mieux rendre hommage à la vie : voilà le message tonique de « Rage dedans« . En dansant sur le fil, en pointillés la joie du jeu apparaît comme une bulle d’oxygène qui touche à l’universalité «  On ne saurait mieux dire !

« Rage dedans » de et par Jean-Luc Piraux

 A l’ATJV, Théâtre Blocry (LLN) jusqu’au 25 octobre.

Au Théâtre de Namur du 5 au 18 décembre.

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

POST A COMMENT