• Théâtre  •  » Cold Blood  » : doublé triomphal pour l’équipe de « Kiss and cry » ****

 » Cold Blood  » : doublé triomphal pour l’équipe de « Kiss and cry » ****

On attendait avec un brin d’anxiété le renouvellement du plaisir inouï créé par Kiss and Cry en 2011. Un plaisir né pas tellement d’une « histoire » incroyable que d’une manière unique, jamais vue, de la construire. Sous nos yeux ébahis se mêlaient sur scène le cinéma, filmé en direct, le théâtre, la danse sur le bout des… doigts-dite « nanodanse »- et un texte entre humour et mélancolie. La collaboration du cinéaste Jaco Van Dormael, de la chorégraphe Michèle Anne De Mey et du conteur Thomas Gunzig allait-elle confirmer son excellence ? Depuis hier soir la réponse est oui. Cinq minutes de standing ovation à Manège.Mons pour Cold Blood, non pas simple « suite » d’une « série » TV mais preuve que d’une expérience de laboratoire on peut faire un « genre » populaire.

Un plaisir renouvelé

Le même plaisir central de l’œuvre en train de se faire avec l’œil qui peut errer de la scène à l’écran et vice-versa pour constuire sa propre hisoire et son propre plaisir. Mais plus de paysage  » concret  » auquel s’accrocher comme ce train, ce paysage, ces petites figurines sympas : le  » bricolage  » est réduit au minimum. Tout se fabrique dans  de tout petits espaces où la nanodanse peut s’en donner à cœur joie. Les scènes y gagnent en densité, en abstraction et en hauteur : ballade interstellaire, plongée au fond d’une piscine, où les corps se dissolvent.

Une danse omniprésente, un éloge du corps féminin.

– © Julien Lambert

La danse est omniprésente, comme cœur affectif de l’œuvre et grammaire de base de la fameuse « nanodanse », danse du bout des doigts. Il faut voir l’habileté et la précision des nano-chorégraphies exécutées par Michèle-Anne De Mey et ses complices Grégory Grosjean et Gabriella Iacono. Avec deux morceaux d’anthologie : le Boléro de Ravel et un numéro de claquettes de Fred Astaire. Des classiques « éculés », rendus à leur fraîcheur par l’abstraction …sensuelle des doigts, parfois armés de…dés à coudre, pour rendre le son des claquettes. Séduction et sourire assurés. Mais au centre de l’œuvre ce ne sont plus les doigts mais le corps entier de Michèle Anne De Mey qui  » traduit  » un air de Scarlatti, Caldo sangre. Sur scène un corps …allongé, mourant mais dont les gestes sont vus à la verticale sur l’écran. L’œil se paie le luxe de cette métamorphose. Avec une lenteur fascinante de femme en train de se suicider : c’est le thème de cet aria et celui de Cold Blood : quelles images viennent à l’esprit d’une mourante ? Mais l’éloge du corps et de sa sensualité surgit constamment en opposition au thème de la mort, illustrée-notamment- par une étonnante reconstitution du bombardement de Dresde à la fin de la guerre 40-45. Cet éloge du corps féminin est explicite dans les intentions du « collectif « : « Le corps est dévoilé dans son entièreté et surtout dans ses détails. Il est tantôt objet chorégraphique à part entière, tantôt un cheveu, un pli ou un cil, devenant ainsi acteurs des différents mondes qui vont se créer. Et puis il y a de la danse pure, rien que de la danse  » .On va ainsi du micro- au macro-cosme, de la terre à l’univers, de la femme au ciel. Avec, en outre, une jolie collection de citations de Béjart à Pina Bausch pour les amateurs de l’histoire de la danse au XXè siècle.

 

Musique et récit : un faufilage impressionniste et humoristique.

– © Julien Lambert

La musique l’emporte souvent sur le texte pour lier des séquences très visuelles : cela va de l’opéra -dont le fameux « Caldo Sangre », devenu « Cold Blood », de Scarlatti,interprété par Cecilia Bartoli-  à Sag Warum, un tube des années 50 en passant par Ligeti, Schubert, David Bowie, Janis Joplin ou Ravel. Mais le texte,tendre et décalé, de Thomas Gunzig faufile ces séquences entre rêve et réalité en nous guidant sur les nombreuses morts- et résurrections de l’héroïne…avec ce mélange de nostalgie et d’humour qui donne un fil conducteur poétique. En nous vouvoyant, nous public, il nous implique directement dans cet éloge de la vie au seuil de la mort. De la bel ouvrage, ce travail d’équipe.

Ci-dessous une brève interview vidéo des trois protagonistes, réalisée à 5 jours de la première : on y découvre quelques clefs de la réussite de Cold Blood : un art basé sur l’improvisation, le collectif et la sensibilité poétique.

Cold Blood de Michèle Anne De Mey, Jaco Van Dormael et Thomas Gunzig

A Manège.Mons jusqu’au 15 décembre. Au Théâtre de Namur (22-30 avril 2016). A Bruxelles (KVS, en français) du 16 au 24 septembre 2016.

Si vous n’avez pas vu « Kiss and Cry », toujours visible en 2016, au Théâtre National, du 7 au 11 décembre. (un succès mondial depuis 2011, avec plus de 250 représentations en 9 langues).

Christian Jade (RTBF.be)

 

 

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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