• Danse  • El Conde de Torrefiel. …  » Après …avoir visionné un film de Michael Hanneke « . Le spleen désabusé de la génération « Podemos ».

El Conde de Torrefiel. …  » Après …avoir visionné un film de Michael Hanneke « . Le spleen désabusé de la génération « Podemos ».

La déferlante qui a cassé l’Espagne, après la Grèce, en 2010 a provoqué l’exil ou la révolte de nombreux jeunes Espagnols. Révolte, mélancolie, transgression et jeu subtil entre parole et chorégraphie : la compagnie barcelonaise El Conde de Torrefiel est une des bonnes surprises de l’édition KFDA 2015.

 

Dans la pénombre on aperçoit un acteur de dos qui murmure d’une voix calme un texte surprenant. Un jeune homme vivant une relation  » classique  » avec une jeune femme raconte son plaisir d’avoir transgressé la norme en donné son corps à quatre inconnus. Sortant de la pénombre surgit doucement un grand panneau mettant en évidence en son centre un pénis  » encadré « . Cette première anecdote donne le  » la  » d’une partition subtile, à la fois textuelle. visuelle et musicale. Le texte, d’abord : de courtes évocations de la vie quotidienne dans une ville soumise au  » fascisme  » ordinaire. Les  » récitants  » de dos, évitent d’imposer leur visage, comme si le texte était lu en  » off  » et parfois lisible sur l’écran. La chorégraphie des corps ensuite : toujours présentée en décalage par rapport au texte, le texte précédent l’image -immobile ou mouvante- ou le suivant, ou vivant séparément du texte, sans rapport évident. La chorégraphie n’illustre pas le texte mais l’accompagne…ou le délaisse, prenant une vie indépendante. Comme si le sens de ce qu’on voit  » flottait  » entre mots et vision. Idem avec la musique qui rythme-ou non- la danse chaloupée entre la parole et l’image ajoutant une couche de références.

Compliqué ? Oui si vous avez besoin d’un récit linéaire, chronologique pour entrer dans un spectacle. Non si vous aimez naviguer de petite surprise, verbale ou visuelle, en petite surprise, liant vous-même la série qui vous est proposée en un ensemble cohérent .Ou acceptant que la société (espagnole ou non, fasciste ou non) est tellement fragmentée que l’individu -créateur ou pas- ne peut s’exprimer que par fragment pour essayer de donner-ou trouver- un sens à sa vie. Les  » leitmotive  » qui donnent une couleur sonore et visuelle à ce parcours impressionniste sont évidemment l’homosexualité-le corps en marge- le rapport à la mère-raté, tragique-la religion-devenue folklore et la société, qui érige une norme  » fasciste  » le quotidien de l’individu.

Le rapport à la révolte sociale de Podemos n’est jamais exprimé en termes militants-à l’ancienne-mais comme un cri de rage, une imprécation, une agressivité impuissante. Au total on navigue entre la nausée de Sartre, le spleen baudelairien et la poésie de Nerval, celle du  » desdichado « , titre  » espagnol  » du fameux  » Je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé… « . Jamais nommés ces Français mais frères, en l’occurrence, de Goya-et ses grotesques- ou de Bunuel-et ses délires ou… Hanneke-et son cynisme tranquille.

Vous aurez compris que j’ai aimé cet univers faussement confus où vous entrerez -ou pas- selon ce que vous y percevrez…ou ajouterez. Ce que j’aime aussi c’est que les interprètes ne se sentent pas obligés de pénétrer dans les rangs du public pour une de ces fausses  » participations  » à la mode. J’aime cette intériorité, pudique et impudique à la fois. Avec les  » Corbeaux  » ces femmes marocaines hurlant – de douleur ou de joie- en début de festival, en passant par le monde de l’enfance-revisité par Matija Ferlin (We are kings not humans)- ce Conde de Torrefiel, vaguement appuyé sur Hanneke, est un de mes trois bonheurs de ce KFDA : où le raffinement de la forme, jouant sur tous les tableaux- mots, corps, musique- ne nie pas l’émotion mais l’amplifie.

El Conde de Torrefiel. …  » Après …avoir visionné un film de Michael Hanneke « .

KFDA, jusqu’au 30 mai.

Christian Jade (RTBF.be).

 

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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