• Théâtre  • « Ithaque » (Christiane Jatahy), fort conceptuel. « Looking at the ceiling », un « song play » rafraîchissant (John Adams).

« Ithaque » (Christiane Jatahy), fort conceptuel. « Looking at the ceiling », un « song play » rafraîchissant (John Adams).

Tout le monde sait que Pénélope fait et défait une tapisserie pendant les 10 ans d’absence Ulysse, pris par la guerre de Troie puis par les charmes de la nymphe Calypso. Pénélope déploie une stratégie de reine au foyer pour éloigner des prétendants un peu machos, qui la pressent de choisir l’un d’eux pour exercer le pouvoir. Christiane Jatahy nous propose dans un dispositif bi-frontal le point de vue de Pénélope à Ithaque et d’Ulysse prisonnier de Calypso sur l’île moins connue d’Ogygie.

 

Un rideau, comme une tapisserie mouvante sépare les deux lieux où circulent trois sages Pénélopes aux prises avec trois prétendants odieux. Elles deviennent trois Calypsos sensuelles aux prises avec trois Ulysses captifs de l’autre côté, une fois franchi un petit espace neutre. Le public s’invite pendant vingt minutes chez Pénélope puis est invité à aller voir du côté de chez Ulysse et Calypso, selon un dispositif très ordonné. Enfin le rideau s’ouvre, les deux espaces se rejoignent et l’eau envahit le plateau comme si les deux îles étaient plongées dans l’Océan.

 Alors l’histoire change de sens. Comme si toutes les Pénélopes/Calypsos et tous les Ulysses/prétendants se débattaient dans un océan de contradictions et devenaient ce flot convulsif de migrants anonymes luttant pour la survie de la Méditerranée actuelle. Ce dénouement est suggéré par la lecture, au cours des 50 minutes initiales, de bribes de témoignages de migrants. Les acteurs se filment avec habileté dans des positions inconfortables, projetées sur écran mais d’abord vécues sur le plateau avec un rapport scène/écran remarquablement orchestré. Ce final est beau et convaincant, donnant un sens à l’ensemble. Mais un peu tard.

Trop de sens tue le sens.

Les deux fois vingt minutes initiales nous ont laissé perplexe. La chips party tristounette chez Pénélope avec le leitmotiv Amour/Fête/No future nous a paru un lieu commun ennuyeux pour décrire notre époque. Et l’agressivité machiste d’un des prétendants vis-à-vis de Pénélope est un faible reflet d’une époque où le viol des femmes est une arme de guerre. Les 20 minutes chez Calypso sont plus intéressantes puisque la guerre des sexes y est plus spectaculaire et que la caméra commence à introduire du mouvement et de la couleur dans un texte pauvre.

Un texte pauvre, une scénographie intéressante.

– © Elisabeth Carrasco

Ce texte approximatif est un des gros problèmes de ce spectacle à l’esthétique raffinée mais trop longtemps statique. Le mélange des sujets rend le récit flou, imprécis, flottant. La relation avec la situation actuelle au Brésil est tellement discrète qu’elle passe inaperçue. Et le thème des migrants d’abord évoqué par des lectures didactiques ne trouve sa force que dans le final où le savoir faire de Christiane Jatahy se déploie enfin. On retrouve soudain la force de cette mémorable version des « Trois Sœurs » qui nous avait totalement passionné. Mais les « trois sœurs », les mêmes excellentes actrices qu’ici y étaient trois tempéraments explosifs différents, pas des abstractions « homériques » interchangeables. Il subsistait suffisamment de traces de Tchekhov chantées dans un portugais savoureux pour nous séduire alors que le mélange français/portugais ajoute ici une distance. Les acteurs (Karim Bel Kacem, Cédric Eeckoudt, Mathieu Sampeur) et actrices (Julia Bernat, Stella Rabello, Isabel Teixeira) n’y sont pour rien elles/ils sont même souvent excellent(e)s mais prisonnier(e)s d’un concept qui les emprisonne.

On ose espérer plus de cohérence pour la suite annoncée.

« I am looking at the ceiling and then I saw the sky » (John Adams). Rafraîchissant.

– © c) Hubert Amiel

Voilà un projet sans prétention mais pas sans ambition artistique ni utilité sociale. Soit un « song play » de John Adams, entre opéra et comédie musicale jamais joué en Belgique.Il a pour thème la vie compliquée de sept jeunes d’un quartier défavorisé de Los Angeles avant, pendant et après le tremblement de terre de 1994. On y voit défiler un jeune délinquant, un flic qui s’interroge sur ses orientations sexuelles, une maman sans papiers, une journaliste un peu caricaturale, une avocate, un prédicateur Don Juan. Et un chœur à la gloire de l’Apocalypse de St Jean qui donne son titre à l’œuvre. C’est rythmé, plein d’humour et tendresse et fait pour de jeunes interprètes et un public tous terrains. L’idée vint donc à Marianne Pousseur, metteuse en scène ,Enrico Bagnoli scénographe et Philippe Gérard chef d’orchestre de l’offrir à 9 jeunes chanteurs et 8 instrumentistes, étudiants  du Conservatoire de Bruxelles provenant des sections jazz et musique classique réunies. Une idée généreuse, relayée par le Théâtre National et l’Opéra de Liège mais qui peut se produire aussi dans des salles plus petites ou des maisons de la Culture. Et ça donne quoi le spectacle ? Quelques voix prometteuses, d’autres plus fragiles mais qui en chœur, en duos en trios font merveille. La mise en scène et la sceno sont habiles, simples et efficaces.

J’ai beaucoup apprécié cette mise en valeur d’un groupe de jeunes capables de diffuser une belle comédie musicale de qualité à toutes sortes de public et d’abord un public jeune à qui on qui raconte des histoires d’aujourd’hui.

En pratique

– « Ithaque » (Notre Odyssée 1) de Christiane Jatahy au Théâtre National jusqu’au 17 novembre

– « I was looking at the ceiling and then I saw the sky » de John Adams (mise en scène Marianne Pousseur et Enrico Bagnoli).

Au Théâtre National jusqu’au 13 novembre

– à l’Opéra Royal de Wallonie. Les 30 janvier, 1er et 3 février.

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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