• Théâtre  • La Monnaie, saison 2018/2019 : Peter de Caluwe rappelle ses ambitions artistiques et …financières.

La Monnaie, saison 2018/2019 : Peter de Caluwe rappelle ses ambitions artistiques et …financières.

Cela fait plus de 10 ans que Peter de Caluwe « règne » sur la Monnaie après une « mauvaise passe » de 2 ans qu’il a dû passer « sous tente » à Tour et Taxis, en se contentant habilement de productions plus modestes mais traitées intelligemment. De ce handicap il a fait une force en découvrant de jeunes metteurs en scène (cf interview ci-dessous).  La saison actuelle est un retour définitif à l’excellence avec, notamment,  Roméo Castellucci proposant une « Flûte enchantée » pratiquement sans…paroles. Warlikowski s’attaquera à l’univers carcéral sibérien de la  » Maison des morts  » de Janacek.

Olivier Py quittera le grand opéra français pour la « Gioconda » de Ponchielli, transition entre Verdi et l’opéra vériste. Laurent Pelly nous amusera du « Don Pascuale » de Donizetti. Dimitri Tcherniakov proposera une féérie russe rarement jouée, le « Conte du Tsar Saltan » de Rimski Korsakov. La musique contemporaine ouvrira la saison avec 3 petites œuvres dont une proposée par Fabrice Murgia, suivies par la création du « Frankenstein » de Mark Grey (une commande de la Monnaie), mis en scène par la Fura dels Baus. En outre le chef maison Alain Altinoglu proposera un cocktail de 3 X 2 symphonies de Beethoven, entrecoupées de brèves pièces contemporaines. Un chef tenu en haute estime par Peter de Caluwe : « Pour moi Alain Altinoglu  est l’un des plus grands chefs d’orchestre au monde, et l’alchimie avec notre orchestre est parfaite, ce qui ne fut pas le cas avec tous les chefs antérieurs. »

Le programme complet 2018/2019  est à consulter sur le site : https://www.lamonnaie.be/fr .

Notre interview porte sur  les « risques » esthétiques que le directeur de la Monnaie aime prendre, sur la gestion financière à un moment où on lui refuse mystérieusement le bénéfice du « tax shelter » et sur l’actualité politique sur laquelle il se montre réservé, prudent, disons.

 

Interview de Peter de Caluwe (PdC) par Christian Jade (C.J)

Logo La Monnaie 2018 19

Logo La Monnaie 2018 19 – © DR

 

CJ : Depuis votre prise de fonctions en 2007, vous avez proclamé  votre goût du  » risque  » en engageant de fortes personnalités comme Castellucci, Warlikowski ou Olivier Py. On les retrouve tous trois cette année C’est encore un risque ?

PdC : J’ai proposé à Castellucci sa première mise en scène d’opéra, le  » Parsifal  » de Wagner, et il revient avec  » la Flûte Enchantée  » de Mozart. Est-ce encore  un risque? Castellucci est un artiste énigmatique et toujours surprenant donc il y a un risque. J’aime engager des artistes imprévisibles comme lui. Comme dramaturge, j’ai, pour chaque œuvre, mon idée en tête mais les metteurs en scène à forte personnalité n’obéissent jamais à mon schéma, c’est toujours beaucoup plus original que ce que j’imaginais! 

CJ Pendant  » l’exil  » de la Monnaie sous une grande tente, vous avez fait appel à de jeunes metteurs en scène pratiquement inconnus comme Christophe Coppens. Le nouveau risque,  c’est de poursuivre avec eux ?

PdC: De fait, cette année, Christophe Coppens fait un  » Château de Barbe Bleue  » de Bartok. Aux deux jeunes qui ont remporté un concours de metteurs en scène, je propose dans les prochaines années une trilogie d’opéras de Mozart, puis une trilogie Donizzetti. Ils sont jeunes, je les ai beaucoup accompagnés moi-même dans leur création et je suis donc prêt à risquer avec ces inconnus de nouvelles aventures. Avec Castellucci et Warlikowski, pas question de discuter de leurs intentions de mise en scène ou de contrarier leurs visions. Avec les nouvelles générations, il est beaucoup plus facile de suggérer des changements et de chercher de nouveaux défis.

CJ : Un autre goût du risque c’est votre passion pour la création contemporaine avec un public frileux ?

PdC : A partir de 2019, je commencerai toutes mes saisons avec des créations contemporaines. C’est très risqué, mais cela fait partie de la réputation de la maison. La vocation de la Monnaie, l’opéra de la capitale de l’Europe, c’est la variété et l’originalité du répertoire  et son  regard  sur la création actuelle.

CJ : A Bruxelles, le Kunstenfestivaldesarts est dédié à la création contemporaine. Vous allez continuer à collaborer avec eux ?

PdC : J’aime beaucoup le Kunsten mais notre rythme de travail n’est pas le même. Un opéra, ça se prévoit au moins trois ans à l’avance, le Kunsten programme à un ou deux ans : difficile donc de coïncider. Mais ça vaut la peine d’essayer, non seulement avec le Kunsten mais avec le Palais des Beaux Arts, le Théâtre National et le KVS pour des réalisations de moins grande envergure. Le public bruxellois n’est pas énorme et il faut qu’il circule entre l’Opéra, les grands théâtres bruxellois et le Palais des Beaux Arts. Il ne faut pas être dans la concurrence mais dans la coopération.

CJ : Des exemples concrets ?

PdC : En  septembre, le directeur du KVS Michael De Cock KVS remonte  » L’Homme de la Mancha  » de Jacques Brel. Et  Fabrice Murgia, directeur  du Théâtre National produit  » Sylvia  » d’après la personnalité tragique de la poétesse américaine Sylvia Plath. Le  » Menuet  » de Fabrice Murgia d’après L.P. Boon était très réussi mais Fabrice en avait fait le livret. Il  a un problème avec le texte des autres : il appartient à une génération qui doit d’abord déconstruire avant de reconstruire. Or à l’opéra, tu dois prendre la pièce telle qu’elle est, il faut accepter de s’y soumettre.

CJ : L’Opéra Vlaanderen reproche à la Monnaie d’avoir beaucoup plus de subventions que lui.
PdC Cet opéra ne dépend pas du gouvernement fédéral mais de la communauté flamande, donc on ne peut pas comparer. Mais je suis prêt à défendre dans toutes les régions, Bruxelles, Flandre et Wallonie, une augmentation des subsides culturels. Il y a assez d’argent partout, mais chaque région a sa politique particulière.

CJ : Alors, quid du fameux budget de la Monnaie ?

PdC : Il y a 10 ans, la subvention tournait autour de 32 millions. Nous sommes aujourd’hui à 33 millions et demi. Compte tenu de l’index, on a perdu plus de 20% de notre subvention. Le personnel permanent a été réduit mais le coût global n’a pas tellement changé puisqu’il faut payer leurs pensions. Donc le budget pour la création dépend de la vente des tickets et  du sponsoring. Mais surtout, au niveau des communautés flamande et francophone, le système du « tax-shelter » -qui permet au secteur privé d’aider à la création artistique- fonctionne très bien. Mais ce système inventé par Didier Reynders n’est toujours pas appliqué à la Monnaie, ni dans les autres institutions fédérales. Ce sont 2 à 3 millions (par an) qui nous échappent. Ce gouvernement a diminué les subsides culturels, il y a 4 ans en promettant que ce serait compensé par ce fameux  » tax shelter « , et cela n’avance pas. C’est non seulement incroyable mais c’est scandaleux.

CJ : Mais alors d’où vient le blocage ? De qui ?

PdC : Ca, il ne faut pas me le demander

CJ : Il y a eu récemment des incidents graves dans un centre culturel soutenu par le KVS et le Kaai. La police est venue  » enlever  » un certain nombre d’artistes étrangers réfugiés. Les directeurs du Kaai et du KVS ont violemment protesté. On ne vous a pas entendu.

PdC : Quand on regarde ma programmation, elle est claire, elle est complètement humaniste. Je n’aime pas beaucoup prendre position sur l’actualité mais l’idée de tolérance et d’humanisme est dans tout ce que je présente dont récemment,  » Il Prigioniero  » de Dallapiccola. Donc ma programmation questionne l’actualité mais personnellement, je ne prends pas position sur l’actualité.

CJ : De temps en temps, on attend de personnes qui ont votre notoriété et donc votre  autorité de réagir en  » citoyens « .

PdC : Ma réaction quand j’ai entendu ces incidents a été d’augmenter le nombre de réfugiés dans notre projet de fin d’année. On a déjà travaillé avec des réfugiés et on va continuer à la faire. Ma réponse n’est pas dans l’expression publique de mes sentiments, elle est dans le concret. Mes collègues s’expriment en paroles et ils le font très bien, moi je suis plus pragmatique.

Christian Jade (RTBF.be)

 

 

 

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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