« L’avenir dure longtemps ». Althusser, le vertige d’une folie meurtrière ****
REPRISE (un succès non-stop depuis 4 ans ,Prix de la Critique 2016, meilleur seul en scène.)
Voici mon compte rendu (janvier 2016) de la performance « terrifiante » d’Angelo Bison. Passé par les Doms à Avignon, repris à Poème 2. Une œuvre qui vous marque à jamais par son intensité dramatique et la qualité de l’interprète. A (re)voir d’urgence au Théâtre des Martyrs.
C’est l’adaptation d’une longue confession d’un philosophe marxiste, une des coqueluches parisiennes des années 70. Il a tué sa femme dans une crise de folie, en 1980. Aussitôt interné dans un asile, il bénéficie d’un « non-lieu » qui le prive d’un procès. Quand il sort, 2 ans plus tard, il regrette l’absence de procès qui lui aurait permis d’être responsable de sa vie, face à des jurés et de retrouver son identité.
La longue confession, 350 pages résumées en 1h30 par les soins de Michel Bernard, metteur en scène, n’a jamais été publiée de son vivant. Son intérêt dépasse l’anecdote historique et nous plonge dans un enfer existentiel : que se passe-t-il dans la tête d’un individu que son intelligence est supposée préserver des tentations du meurtre ? Aucun plaidoyer mais une plongée, sans complaisance, dans les gouffres d’un dépressif chronique. Pourquoi a-t-il tué Hélène, la femme qui l’avait sauvé d’une incapacité à nouer une relation physique avec les femmes ? Aucune réponse, puisque de son acte, il n’aperçoit que le résultat, la mort d’un être aimé sans en expliquer la cause immédiate. Mais les étapes de cette folie meurtrière sont décrites avec une précision clinique, de la mère abusive à la relation ambiguë à Hélène, mélange d’attraction et de répulsion, avec les cruautés répugnantes infligées à la victime et les séjours en hôpital psychiatrique, à une époque où on croyait guérir les dépressifs chroniques par électrochocs.
Angelo Bison, interprétant Althusser, est au sommet de ses capacités scéniques. Il doit « défendre » un personnage peu sympathique, incarner un fou sans tomber dans la caricature ou l’emphase d’un plaidoyer de Cour d’assises. Le metteur en scène, Michel Bernard, a su le « cadrer » au plus juste de son expressivité : assis sur un petit tabouret, il se raconte sobrement laissant affleurer les grondements sourds de la folie. Son visage, intense, douloureux, inquiétant nous fait passer par toutes les couleurs de l’émotion.
On se souvient du splendide solo de Dirk Roofthooft « Lettre à D » en début d’année, racontant l’amour fou d’un couple fusionnel, André Gorz et sa femme, 58 ans de passion continue, s’achevant dans un suicide à deux. Un amour éblouissant, hors de portée du commun des mortels. « L’Avenir dure longtemps », c’est la face sombre, terrifiante de ce même amour quand il repose sur un déséquilibre, un malentendu, une folie qui le fait naviguer au bord du volcan.
« L’avenir dure longtemps » d’après Louis Althusser. Reprise au Théâtre des Martyrs jusqu’au 16 février.
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