• Danse  • « Every Direction Is North ». Karine Pontiès joue sur l’élan et la virtuosité pour vaincre la mélancolie. ***

« Every Direction Is North ». Karine Pontiès joue sur l’élan et la virtuosité pour vaincre la mélancolie. ***

« Le Radeau de la Méduse » n’est jamais bien loin dans les rêves chorégraphiques de la Dame de Pique, compagnie de Karine Ponties. Entre rêve et réalité, cauchemar et catastrophe, le groupe et l’individu sont toujours pris entre conflit et solidarité avec une question centrale : qui mène qui, qui emporte qui et vers où ?

Un peu métaphysique et surtout très virtuose, cet Every Direction Is North, grâce à un petit luxe, 7 danseurs russes d’une agilité et plasticité diaboliques peuplent l’espace d’un mouvement plus léger, plus optimiste, plus ouvert que d’habitude. On est loin des pièces qui ont fondé sa réputation, Holeulone (Prix de la Critique 2007) et Humus Vertebra peuplés d’épouvantails, comme surgis d’un recoin d’une toile de Jérôme Bosch.

La même angoisse est bien là au début, lorsque surgit de la pénombre, un petit individu à la tête enfoncée dans une boîte d’où émergent des cris confus, inarticulés. L’articulation viendra d’un groupe qui surgit soudain, mais reste d’abord étroitement confiné dans un espace minuscule où le miracle c’est de survivre. La première performance de la soirée, c’est cette capacité de 7 danseurs à co-exister dans cet espace-étouffoir qui s’élargit progressivement et se déploie sur la grande scène du National. Comme la Vie ?

Le groupe trouve/prouve alors sa délivrance, sa capacité de s’organiser, de durer et de se déployer dans ce vide immense, le Nord ou l’Infini, la terre ou le ciel ou une combinaison des deux ? La métaphysique se fait plus terre à terre grâce à la manipulation de simples d’objets de bois capables de se transformer très vite en espaces concrets, une chambre, une table, une armoire ou autres objets usuels qui ont manifestement servi de champs d’improvisation à la troupe. La mélancolie (et l’espace étroit de la prison initiale) ne resurgira qu’à la fin, comme une fatalité … pas insurmontable. Comme si le Radeau de la Méduse initial était une option, un point de départ à vaincre chaque jour par l’invention d’une dynamique de groupe créative.

La danse n’est pas d’abord philosophie mais peut être vécue ici au premier degré. 7 danseurs prennent un malin plaisir à coexister dans des espaces simples ou compliqués, qu’ils fabriquent et transforment à mesure, avec un moment de grâce pour chaque soliste qui déploie un corps presque circassien au sein du groupe qui le soutient.

Au total, on sent un plaisir communicatif, un échange entre Karine Pontiès (et ses angoisses existentielles) et le bonheur de la performance dont les 7 danseurs inondent le plateau. L’échange entre deux manières de pratiquer la danse produit un petit miracle, d’ailleurs récompensé à Moscou d’un Prix prestigieux, le Masque d’Or 2017 comme meilleure performance de danse contemporaine. Difficile de ne pas voir le plaisir des uns et des autres à se jouer des difficultés techniques de la danse, énumérés par Karine (trajectoires heurtées, déviations intempestives, fulgurances, arrêts nets, graphiques spatiaux) pour exprimer tendresses, compassion et esprit d’enfance.

Une œuvre forte, comme un instant de bonheur dynamique et lumineux dans la planète Pontiès, plutôt portée par Saturne que par Apollon.

« Every Direction Is North ». Karine Pontiès

Au Théâtre National jusqu’au 8 février, le 11 février au Cultuurcentrum de Bruges, le 14 février aux Écuries de Charleroi Danse.

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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