• Théâtre  • ‘Le jour, et la nuit, et le jour, après la mort’: un trio familial éclaté. Noir de noir. Coloré d’humour.

‘Le jour, et la nuit, et le jour, après la mort’: un trio familial éclaté. Noir de noir. Coloré d’humour.

Critique:***

Souvent je me suis dit : comment un metteur en scène -et des acteurs- peuvent-ils deviner qu’un texte  » pauvre  » a une densité de diamant ? Par rapport  au texte d’Esther Gerritsen, la langue de Becket est bavarde comme Shakespeare et celle d’Ionesco aussi prolixe que Claudel. Et pourtant, comme dirait Galilée, explorant la planète théâtre : ‘si muove’, elle tourne, ça marche à fond sur scène, ce texte-là. La faute à David Strosberg qui signe là, pour moi,  sa plus belle mise en scène depuis ‘Schitz’ d’Hanoch Levin et surtout grâce aux trois acteurs rigoureux, qui se passent les mots au travers le corps avec des gueules tragi-comiques à tomber raide.

Soit une morte, pas encore enterrée, qui fait ‘ruminer’ son frère (Alexandre Trocki, en pompier superman, inquiétant et délicieux), son mari (campé en quelques syllabes grognonnes par Philippe Grand’Henry, sortant sa ‘trogne’ de mauvais coucheur) et son fils (Vincent Hennebicq, le seul bavard, véhément, perdu, en recherche d’unité familiale). La morte est dans le titre mais c’est pas vraiment elle qui compte, elle est presque un ‘pré-texte’. Ce qui compte ce sont les trois mecs qui SE cherchent autour des dernières heures de la morte et qui essaient de se trouver un mode de vie, ici et maintenant, juste après. Le texte est d’autant plus intéressant qu’il est écrit par une femme, qui explore de son microscope la psyché masculine. D’habitude c’est l’inverse. Et qui frappe juste : la maladresse de notre langage, et ses effets comiques, la pauvreté de l’expression, comme si le mâle était un protozoaire sous-développé ou à l’inverse le bavardage éperdu, attendrissant, la logorrhée angoissée …et drôle.

Un texte pauvre ? Erreur : le pompier qui se prend pour le sauveur du monde, dans la bouche et le corps déguisé en superman d’Alexandre Trocki, c’est un morceau d’anthologie. Ses lubies sont les nôtres. Le mari bougon, indifférent : c’est notre gueule des mauvais jours. Et le fils de bonne volonté qui cherche, éperdument la réconciliation : pathétiquement nôtre aussi.

C’est ça un bon texte : que l’acteur et le public s’y re-trouvent. Ou reluquent sur le voisin : ça c’est pas moi, c’est lui.  Bref le soir où j’ai participé à ce jeu de rôles comique, féroce et tendre à la fois, ça marchait du tonnerre : un texte minimaliste, tendu à son maximum par un excellent directeur d’acteurs, David Strosberg et projeté avec un talent fou par trois acteurs complices.

Le jour, et la nuit, et le jour, après la mort’ d’Esther Gerritsen, m.e.s de David Strosberg.

Théâtre des Tanneurs jusqu’au 29 avril. http://www.lestanneurs.be/

Christian Jade (RTBF.be)

 

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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