• Festivals  • Paris  • Opéra de Paris: « Cavalleria rusticana » et « Sancta Susanna ». Triomphe de la sensualité, entre sacré et sacrilège.

Opéra de Paris: « Cavalleria rusticana » et « Sancta Susanna ». Triomphe de la sensualité, entre sacré et sacrilège.

Quelle curieuse idée d’accoler, à un opéra vériste hyper connu, « Cavalleria Rusticana  » de Mascagni, une œuvre expressionniste peu jouée,  » Sancta Susanna  » de Hindemith. Eh bien « ça marche », tant musicalement que scéniquement. Grace à un metteur en scène italien, Mario Martone, qui joue habilement sur les contrastes et à l’excellente conduite musicale de Carlo Rizzi qui porte l’orchestre, les chœurs et les solistes (dont Elena Garanca et Anna Caterina Antonacci)  à leur sommet.

Au départ, une production de la Scala mêlant, classiquement, « Cavalleria rusticana » et « Pagliacci » de Leoncavallo, deux œuvres véristes courtes qui portent le drame dans des milieux campagnards. Stéphane Lissner, ancien directeur de la Scala et actuel directeur de l’Opéra de Paris, propose d’introduire  » Sancta Susanna  » en lieu et place de  » Pagliacci « , parce que le sacré et la sensualité sont présents dans les deux œuvres et que le contraste de styles fait le lien entre la musique  des XIXè et XXè siècles. Ou plutôt entre l’avant et l’après guerre 14-18 dont le choc a ébranlé tous les arts : peinture, musique, littérature.

Le pari est relevé d’autant plus facilement par Mario Martone qu’il a déjà épuré sa version de « Cavalleria », gommant tout le pittoresque villageois réaliste au profit d’un plateau vide, envahi par le chœur, figurant le village assistant à la messe de Pâques. Les protagonistes, aux prises avec leurs passions amoureuses et leurs jalousies meurtrières font partie du chœur des croyants et s’en détachent pour nous confier leurs passions charnelles. La rivalité entre les deux femmes, Santuzza et Lola, à propos du même homme, Turiddu, sous l’œil de sa mère, Lucia se déroule sur un plateau dominé par une immense figure du Christ. Le « vérisme » villageois initial est gommé au profit d’une interrogation plus centrale sur le rapport entre la chair et l’esprit, le sacré et le profane au sein d’une communauté, l’assemblée du village agissant sous l’œil du Christ, lui-même  » chair et esprit « .

 » Sancta Susanna  » :un panneau d’un triptyque à reconstituer d’urgence.

– © Elisa Haberer

 

La transition vers « Sancta Susanna » de Hindemith, s’est imposée facilement. Soit une forme courte résumant en 25 minutes les tourments d’une nonne amoureuse du Christ et qui finit emmurée vivante. A la tragédie sur la place publique succède le drame intérieur d’une prisonnière de sa foi qui reporte sa sensualité sur une  statue du Christ. Avec pour seule témoin une religieuse plus âgée… et ses fantasmes. La scénographie habile de Sergio Tramonti présente d’abord la cellule austère de Susanna qui s’ouvre soudain pour vivre le  » blasphème  » d’une autre sœur, emmurée vivante pour avoir voulu, nue, embrasser le corps du Christ. Susanna ne pourra s’empêcher de plonger dans la même tentation, guettée par une énorme araignée et condamnée au même châtiment.

Visuellement le passage d’une messe sur la place publique à un corps à corps sensuel avec une statue du Christ était périlleux. Le jeu du clair obscur rend cette scène sacrilège à la fois très spectaculaire et très digne même si quelques dizaines de spectateurs (sur 2500) ont cherché parfois leur  » salut  » dans la fuite au lieu d’applaudir.

Musicalement la direction de Carlo Rizzi, plutôt spécialiste des opéras du Sud de l’Europe, rend grâce aux deux styles, vériste et expressionniste. Il faut dire qu’il peut s’appuyer sur le chœur  de l’Opéra de Paris aussi ductile dans le traitement des voix qu’agile dans la chorégraphie des ensembles. Avec en point d’orgue deux mezzos fascinantes : la Lettone Elina Garanca (Santuzza) dont la voix aux inflexions ravageuses épouse toutes les formes de la passion amoureuse. Et Anna Caterina Antonacci toute d’intériorité frémissante  avant de faire exploser une sensualité provocante dans cette œuvre méconnue de Hindemith. 25 minutes de bonheur total, musical et théâtral qui donnent  envie de voir la totalité de ce triptyque de jeunesse, rarement donné en intégralité. Après ce coup d’essai réussi, on attend avec intérêt à Paris ou à Bruxelles l’œuvre complète de Hindemith, rarement jouée sur nos scènes, hormis, ici et là,  » Mathis der Mahler  » et surtout « Cardillac », ce dernier à l’Opéra de Paris, à l’ère Mortier en 2005 et 2008.

 » Cavalleria rusticana » (Mascani) et « Sancta Susanna  » (Hindemith) à l’Opéra de Paris le 23 décembre.

Christian Jade (RTBF.be)

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

POST A COMMENT