• Théâtre  • Opera Vlaanderen .Une  » Flûte enchantée  » noire, grinçante, plus politique que magique. ***

Opera Vlaanderen .Une  » Flûte enchantée  » noire, grinçante, plus politique que magique. ***

Il faut aller à l’Opera Vlaanderen, à Gand (re)voir  » La Flûte enchantée  » de Mozart qui avait fait sensation en 2012. Et s’il est trop tard (il reste deux jours, les 20 et 21 janvier) pour la Flûte, réservez déjà vos places pour  » Simon Boccanegra  » de Verdi, début février. Le point commun : un jeune metteur en scène allemand, David Hermann qui adore transposer de nos jours les conflits nichés dans beaucoup d’opéras anciens.

Avec Verdi la substance politique fait partie du jeu. Mais dans le cas de  » la Flûte  » Hermann a littéralement  » cassé la baraque  » Mozart ou plutôt le livret un peu confus de Schikaneder en vidant l’opéra de sa substance féérique pour introduire un rapport de force politique, une lutte de clans. Ainsi Sarastro n’est plus le Grand Prêtre, gardien d’un temple égyptien  » maçonnique  » mais un cowboy, chef de gang dans la prairie, opposé à une Reine de la Nuit qui règne en eaux troubles. Le Jour/la Nuit, le Bien/le Mal, c’est, en gros, bien dans la tradition ? Oui sauf que Sarastro n’est pas que le bien, il a sa zone d’ombre, se faisant caresser les pieds par Pamina dans la baignoire de la Reine de la Nuit ! Ce qui attire la vengeance de Tamino qui le flingue, avec une flûte remplacée par un revolver… d’enfant. Et que les épreuves maçonniques (eau, feu, air, terre) deviennent une  » roulette russe  » (d’actualité politique …poutinesque, 2016/17) avec le dit révolver comme unique menace ! Là j’avoue que je l’ai trouvée un peu grosse, la farce.  Et que la Reine un peu caricaturale et pas magique du tout est confinée dans un intérieur sordide au lieu de régner sur le firmament.

Iconoclaste mais juste.

– © Annemie Augustijn

Quant à Papageno, l’Oiseleur sympa il joue au grand singe dans les airs, équilibriste sur des cordes ou suspendu sur une petite planche accroché au mur de la cabane. Il est déguisé en oiseau et à vrai dire son  » ramage  » dans le splendide gosier de Josef Wagner est tout-à-fait enchanteur : solidité, souplesse, nuances, drôlerie, tout y est. La basse d’Ante Jerkunika en Sarastro est impressionnante de justesse dans un registre où ce type de voix  » poitrine  » souvent. Même justesse, à l’opposé du registre, chez la Reine de la Nuit d’Hulkar Sabirova aux aigus parfaits. Le couple Tamino (KennethTarver) et Pamina (Mirella Hagen) et délicieux  tout comme les trois dames, drôles, petits clownesses aguicheuses et bien accordées. En somme que les mozartiens de stricte obédience se rassurent: les voix, l’orchestre (dirigé par  Jan Schweiger) et le chœur (même caché, en coulisses) sonnent juste, à l’unisson. La scéno et les costumes de Christof Hetzer épousent  parfaitement la veine caricaturale, plus proche des séries américaines et des comics que de la poésie initiatique, mais diablement efficaces si on ne reste pas coincé dans le conte optimiste des  » Lumières  » mozartiennes.

La mise en scène de David Hermann est une  » mise à plat « , certes, mais pas du tout une  » platitude « . Autant cet été à Aix, le contre-plaqué du cinéaste Christophe Honoré (plaçant  » Cosi fan tutte « dans  Libye colonisée par Mussolini) m’avait paru artificiel, autant cette version  » boxée  » de la Flûte a sa pertinence. Elle correspond à notre époque : derrière le caractère iconoclaste, il y  a une étude dramaturgique sérieuse qui retire toute notion de sacré ou d’élévation à l’œuvre. Mais vous voyez du sacré dans l’air d’aujourd’hui ? Et ceux qui croient encore au sacré deviennent des tueurs de masse. En 2012 le  » cow boy dans la prairie  » n’était pas encore arrivé : ce 20 janvier 2017 coïncide avec le sacre de Sarastro/Trump. Un miracle du décalage horaire !

Vivement la prochaine mise en scène de David Hermann qui revient en février à l’Opera Vlaanderen avec Simon Boccanegra, après s’est illustré dans des maisons d’opéra comme Amsterdam, Zurich, Francfort et Berlin (Deutsche Oper).

 » La Flûte enchantée  » de Mozart, mise en scène de David Hermann, Opera Vlaanderen (Gand) les 20 et 21 janvier.

 » Simon Boccanegra  » de Verdi, mise en scène de David Hermann, Opera Vlaanderen du 5 février au 9 mars.

https://operaballet.be/nl

Christian Jade(RTBF.be)

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

POST A COMMENT