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Opéra de Paris : Ivo Van Hove et Ann Teresa De Keersmaker à l’honneur pour la saison 2017-18

Avec un budget de plus de 200 millions d’euros  pour deux salles (Bastille, Garnier), dont près de la moitié financé par des subventions publiques et le reste par le mécénat et la billetterie, l’Opéra de Paris a des moyens énormes par rapport à nos  » petites  » institutions belges, dont La Monnaie (budget de près de 45 millions, un quart de Paris).

Avec de tels moyens et un directeur de renom, Stéphane Lissner, la présentation, hier, de la saison 2017/18 est un joli festival de propositions alléchantes à divers niveaux.

En opéra, 9 créations dont un  » Don Carlos  » originel de Verdi, un  » grand opéra  » français plus jamais joué, devenu  » Don Carlo  » italien, parfois retraduit. Une mise en scène de Warlikowski avec, entre autres, Jonas Kaufman et Elena Garanca. Et Philippe Jordan à la direction musicale d’un orchestre remarquable. Pour cette œuvre et de nombreuses autres.

Très attendu, le  » Boris Goudounov  » mis en scène par Yvo Van Hove (interview ci-dessous). Dans le cycle Berlioz, un  » Benvenuto Cellini  » mis en scène par Terry Gillian avec la délicieuse soprano sud africaine Pretty Yende remarquée cette saison dans Lucia de Lammermoor. Et deux mises en scène de Claus Guth, une  » Bohème  » annoncée  » épurée  » et un  » Jephta « de Haendel dirigée par William Christie avec Marie-Nicole Lemieux, découverte au… Reine Elisabeth. Et un  » Parsifal  » mis en scène par Richard Jones. Des créations contemporaines (voir ci-dessous l’itv de Stéphane Lissner) dont un opéra finlandais de Kaija Saariaho. Et des reprises prestigieuses, soit par leur metteur en scène (Wilson, Warlikowski, Pelly, ATDK) soit par de grandes voix (Jan Bostridge, Peter Mattei, Ramon Vargas, Anna Netrebko,  Placido Domingo, Ekaterina Gubarova, Roberto Alagna, Bryn Terfel,  n’en jetons plus !).

En danse la nouvelle directrice, Aurélie Dupont,  danseuse étoile  » retraitée  » (à 42 ans) du fameux corps de ballet, propose 5 créations dont un  » Violin Concerto  » d’Esa-Pekka Salonen chorégraphié par le Japonais Saburo Teshigawara,  » Play  » du Suédois Alexander Ekman. Mais aussi l’Israélien Hofesh Shechter (présenté au Théâtre de Liège) ou le jeune Espagnol Ivan Perez ou la Canadienne Crystal Pyke.

 4  » entrées au répertoire  » dont Jiri Kylian et le  » Faun  » de Sidi Larbi Cherkaoui. Des grands classiques aussi dont  » Don Quichotte  » de Nouréev et  » Onéguine  » de John Cranko. Et des reprises des joyaux du XXè siècle dont  » Joyaux  » de Balanchine,  » Bolero  » de Béjart et trois pièces du répertoire d’Anne-Teresa De Keersmaeker, fort appréciée par Stéphane Lissner (voir itv ci-dessous).  A priori, une très belle première programmation d’Aurélie Dupont, mélange de coups de cœur et de concorde rétablie au sein du corps de ballet, un peu meurtri par la gestion précédente de Benjamin Millepied.

 

L’interview de Stéphane Lissner

Stéphane Lissner, directeur de l'Opéra de Paris au balcon du Palais Garnier.

Stéphane Lissner, directeur de l’Opéra de Paris au balcon du Palais Garnier. – © Elisa Haberer

J’ai été très sensible à votre hommage à Gérard Mortier.

Stéphane Lissner : J’ai du respect pour ce qu’il a fait,  il a apporté beaucoup à l’Opéra de Paris et il est vraiment dommage qu’il ne soit resté que 5 ans. Et je lui ai rendu hommage dans le programme de la reprise d’ « Iphigénie en Tauride « , où il a introduit Warlikowski à Paris.

Comment parvenez-vous à doser répertoire et modernité sans faire autant de vagues que Mortier, chahuté à Paris ?

Il y a une grande différence entre Mortier et moi et on en a souvent parlé. Gérard avait une conception de la mise en scène qui était la même quel que soit le répertoire. Même dans les œuvres assez simples il cherchait toujours une dramaturgie recherchée. Moi je considère qu’il y a des œuvres qui méritent des traitements plutôt classiques et d’autres un traitement plus intellectuel et plus réfléchi. Donc je ne cherche pas sur certaines œuvres un traitement compliqué ou une dramaturgie-je peux me tromper- qui n’existe pas. Il faut laisser la jubilation vocale s’exercer pour permettre au plus grand nombre d’avoir du plaisir. Par contre quand je présente  » Boris Goudounov  » ou   » Lohengrin  » je cherche des hommes et des femmes de pensée et d’imagination, et pas seulement d’images, ce qui dérange davantage. C’est sûr que quand je fais un  » Cosi  » avec Anne Teresa De Keersmaeker ce ne sera pas traditionnel ni classique. Idem la  » Bohême  » de Claude Guth l’an prochain qui part d’un nouveau concept  et ne baignera pas dans la nostalgie. Ce sera un risque de s’écarter de la tradition mais je le prends.

Il y a quelques Belges dans  votre programmation 2017/18.

Je suis incapable de vous dire qui est belge italien ou français ou pas dans ma programmation. Ca ne m’intéresse pas. Je ne choisis pas sur un critère national. Je suis incapable de vous dire qui est belge ou pas.

Ivo Van Hove ?

C’est un des plus grands metteurs en scène contemporains dont j’avais vu auparavant les tragédies shakespeariennes. Il a un vrai sens politique du théâtre. Quand je lui ai proposé  » Boris Goudounov  » il a dit oui tout de suite. On a d’ailleurs d’autres projets pour le futur.

Anne Teresa De Keersmaeker, ce n’est pas un hasard non plus ?

Non, j’ai déjà fait avec elle un opéra quand je dirigeais le Festival d’Aix-en-Provence (NDLR :  » Hanjo  » du Japonais Toshio Hosokawa, 2004) .J’ai une grande passion pour elle essentiellement comme chorégraphe mais j’aime son intelligence, sa façon de réfléchir, son humanité. Vous verrez son Cosi fan tutte, que je trouve exceptionnel .Je suis très fier de sa nouvelle proposition sur un opéra qu’on a vu et revu. Tout d’un coup on a une proposition nouvelle et on le voit et ressent différemment. En outre c’est une chorégraphe essentielle pour l’Opéra de Paris: l’an prochain la Directrice du ballet Aurélie Dupont l’invite pour un cycle de 3 œuvres de son répertoire et nous avons des projets de nouvelles créations.

Vous coproduisez certaines œuvres avec l’Opéra d’Amsterdam. Rien avec La Monnaie ?

Nous accueillons  » Jephta »  créé à Amsterdam et Pierre Audi  » Héliogabale « , créé à Paris. Mais je suis un peu déçu  tout comme Anne-Teresa que son  » Cosi  » n’aille pas à La Monnaie. Cela aurait été bien de le présenter mais chaque directeur fait sa programmation et décide

La saison 2017/18 confirme votre intérêt pour l’opéra contemporain dont Philippe Boesmans dont vous reprenez  » Reigen  » mais pas dans la version Bondy ?

Bondy et moi on a dirigé le Festival de Vienne pendant 10 ans. Pour moi ce fut un choc la première fois que je l’ai vu ;Mais ici je confie l’œuvre à notre académie, qui forme de jeunes chanteurs  pour les sortir du répertoire traditionnel avec un chef d’orchestre Jean Deroyer fort lié à l’Ensemble Intercontemporain.

L’Opéra finlandais de Kaija Saariaho,  » Only the sound remains  » ?

Je la connais depuis fort longtemps comme son metteur en scène Peter Sellars. Son œuvre, bâtie sur deux  » no « japonais, ira à merveille dans le cadre de Garnier. Ajoutez le rôle principal tenu par le contre-ténor Philippe Jarouski, qu’on ne connaît que par le répertoire baroque et qui ne s’est jamais produit à l’Opéra de Paris, ce qui semble hallucinant ! Dans une œuvre contemporaine cela va rompre nos habitudes.

L’interview d’ Ivo Van Hove

Ivo Van Hove  récompensé aux Tony Awards 2016

Ivo Van Hove récompensé aux Tony Awards 2016 – © Jewal Countess /AFP/RTBF

Pourquoi avoir accepté très vite la proposition de Stéphane Lissner de monter  » Boris Goudounov  » de Moussorgski ?

Ivo Van Hove : « Boris Godounov » entre dans la thématique du pouvoir qui me semble essentielle et que j’ai souvent développée au théâtre (les tragédies shakespeariennes)  ou à l’opéra (un Ring de Wagner à l’Opéra des Flandres, Idomeneo et la Clémence de Titus à la Monnaie). On veut quel genre de leader dans ce monde pour s’occuper des problèmes importants comme l’immigration, les différences de plus en plus frappantes entre les pauvres et les riches.

Esthétiquement, aucune concession à l’époque historique..

Au point de vue esthétique, je n’ai jamais fait un spectacle  » historique « . Bien sûr j’étudie l’époque où l’œuvre  est née mais sur scène on va voir un spectacle contemporain. Je considère chaque opéra et chaque pièce de théâtre comme s’ils avaient été écrits hier ou aujourd’hui. Pour moi l’art est fait pour parler de nous ici et maintenant et il faut trouver des images qui nous parlent. Mais je ne vais pas non plus imiter l’actualité, en parlant de Trump ou Poutine par exemple, ça ne m’intéresse pas. Donc pas d’actualisation littérale mais explication de notre époque à la lumière d’un opéra ancien fort.

Plus de détails sur le programme de l’Opéra de Paris, saison 2017-18

 

Christian Jade(RTBF.be)

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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