Prix de la Critique 2015/16 : Anne-Cécile Vandalem, meilleur spectacle pour » Tristesses « . Morceaux choisis, tripes et raison.
Tout a été dit dans vos journaux sur les lauréats des Prix de la Critique 2015/16. Vous retrouverez ci-dessous le palmarès avec un diaporama de tous les lauréats et une interview vidéo d’Anne-Cécile Vandalem.
Mais ce qui nous a tous frappés c’est la beauté et la pertinence de beaucoup de discours de lauréates et la faiblesse relative des discours masculins. Voici donc une anthologie de » voix de femmes « , sensibles et lucides.
Plus loin vous retrouverez des extraits des officiels, Mme la Ministre Alda Greoli et M.le Ministre Sven Gatz qui ont remis le Prix Abraté, (couronnant l’ensemble d’une carrière) à Jan Goossens et Jean-Louis Colinet, représenté par Fabrice Murgia. M. Gatz a parlé en français mais nous vous livrons la version originale en néerlandais. Officiel aussi le discours de Fabrice Murgia, nouveau directeur du Théâtre national. Et un chouïa de mon discours pour nous situer par rapport aux Molières. Le total est inhabituellement long (11.000 signes) mais ces prises de parole annuelles, cri du cœur ou de rage, c’est un des buts de notre » jeu « .Une anthologie ça se feuillette quitte à …sauter des pages. Bonne lecture.
Anne Cécile Vandalem, autrice, actrice, metteuse en scène et réalisatrice de «Tristesses», meilleur spectacle 2015/2016.
Anne Cécile Vandalem et Epona Guillaume – © © Benoît Matterne
» Nous sommes là pour recevoir un prix, que nous venons visiblement de gagner. Et c’est assez marrant, parce que c’est probablement le concept dont je me méfie le plus… la victoire. (Parce que la victoire entraine le succès, le succès le pouvoir et le pouvoir inévitablement la Tristesse). Parce que je suis persuadée que nous ferions tous mieux d’admettre que nous passons notre vie à nous casser la figure, à échouer. Que nous sommes tous des perdants. Nous sommes nés pour perdre. Perdre l’entièreté des cellules qui nous constituent, perdre la majorité de l’eau que contient notre corps, perdre ceux qui nous sont chers, perdre ce à quoi nous sommes le plus attaché, perdre notre temps, perdre notre travail, perdre notre calme, perdre patience, ou perdre la raison… Et que nous devrions donc célébrer nos échecs plutôt que de célébrer nos victoires.
…Je pourrais terminer en vous lisant un extrait d’un texte de Gilles Deleuze…, (Texte lu par la jeune actrice Epona Guillaume)
» La tristesse, finalement, bien sûr c’est inévitable… Mais, ce n’est pas de ça que l’humanité meurt. L’humanité meurt de ce que, à partir des tristesses inévitables, elle s’en rajoute. C’est une espèce de fabrication de tristesse, d’usine à tristesse, quoi….
Et chaque fois que je verrai quelqu’un qui essaie de me persuader que dans la tristesse il y a quelque chose de bon, d’utile ou de fécond, je flairerai en lui un ennemi, pas seulement de moi-même, mais du genre humain. C’est à dire : je flairerai en lui un tyran, ou l’allié du tyran, car seul le tyran a besoin de la tristesse pour asseoir son pouvoir « .
Céline Delbecq, autrice de « L’Enfant sauvage ».
Céline Delbecq – © © Benoît Matterne
» A la question qui me taraude parfois, quand j’en ai ras le bol de mendier quelques milliers d’euros auprès de grands-producteurs-tous-puissants » Pourquoi mais pourquoi mais pourquoi je fais ce métier ? « , je me réponds : parce qu’il a ce pouvoir-là, celui de saisir une bribe du réel et de la faire penser, comme on pétrit de la pâte à pain, longuement, jusqu’à ce qu’elle devienne épaisse, et tout ça pour quoi ? pour la tendre vers l’autre.
J’écris du fond de ma solitude, comme un pêcheur qui crève de faim et qui accroche un ver au bout de sa cane à pêche en priant pour que ça morde.
Après 13 ans de bénévolat dans des institutions d’enfants et d’adolescents placés par le juge, L’enfant sauvage aborde la question du placement familial. Lorsque nous avons créé le spectacle, 2000 enfants attendaient une famille d’accueil en Belgique. Ca laisse un goût de crever de faim. Alors dans un large mouvement, la cane à pêche s’allonge jusqu’à la mer : » y a quelqu’un ? « . Et cette nomination, c’est comme un poisson qui mord. Merci. «
Valérie Bauchau :actrice, interprète de » Loin de Linden » de Véronika Mabardi.
Valérie Bauchau – © © Benoît Matterne
J’ai la chance de dire ceci :
» on te donne un regard et avec ce regard tu regardes le monde.
On te dit : comme tu vis, c’est ça qui est normal !
Tu hérites d’un regard. Tu crois que c’est toi, que c’est la réalité, mais ce n’est qu’un regard.
Le temps de s’en rendre compte, de se faire sa propre idée des choses et la danse est finie «
Eh bien pour moi, grâce au théâtre, avant que la danse ne soit finie, j’ai eu la chance de me rendre
compte que la lunette dont j’avais hérité à ma naissance était bien étroite. Qu’il fallait changer ça,
sortir du cadre, faire sauter les lunettes, élargir la focale… Mais comment faire ?
C’est le théâtre qui m’a répondu.
J’ai rencontré Frédéric Dussenne qui m’a nettoyée au karcher .
J’ai lu, dévoré des textes, rencontré des auteurs qui m’ont ouvert un monde.
Ca ne suffit pas toujours…
J’ai deux filles et aujourd’hui ma » petite » a 18 ans.
J’ai souvent été démunie comme maman.
Si je savais exactement ce dont je ne voulais pas leur faire hériter, je ne savais pas toujours par quoi le remplacer. Que transmettre ? Quel sens donner à tout ça…. «
Renata Gorka, scénographe de » Un conte d’hiver » et » Tristesse Animal Noir «
Renata Gorka – © © Benoît Matterne
» Une scénographe est un acteur de l’ombre, en retrait, sans aucun pouvoir de parole afin d’expliquer ses visions pourtant souvent inexplicables à lui même.
Aujourd’hui, face à vous, je sens en moi le devoir de vous expliquer l’inexplicable à travers ces quelques lignes d’un de mes auteurs préférés : J.G. Ballard.
« J’ai toujours cru à une imagination purequi se propose de changer la réalité.
Je ne voulais pas accepter le consensus social. Je voulais perturber et troubler dans le but de provoquer le lecteur.Je n’ai jamais consciemment formé mes idées ou mon style. J’ai simplement suivi mes obsessions. » «
Discours officiel : Alda Greoli, Ministre de la Culture de la Fédération Wallonie Bruxelles.
Alda Greoli , Ministre de la Culture de FWB – © © Benoît Matterne
A propos du nouveau décret des arts de la scène :
» Il s’agit de la première grande réforme liée à l’opération » Bouger les lignes « , et plus particulièrement la coupole » Artistes au Centre « , qui vise à adapter notre politique culturelle aux besoins du 21e siècle et permettre qu’une offre renouvelée, clarifiée et diversifiée touche de nouveaux publics, dans le cadre d’une gouvernance simplifiée, optimalisée et modernisée….
Toute réforme suscite des espoirs de refinancement de la part du secteur concerné, et c’est bien légitime. Toutefois, le contexte budgétaire que nous connaissons tous nécessite d’être honnête ; je ne peux pas promettre un grand refinancement du secteur des arts de la scène. Toutefois, pour la première fois, l’indexation de la subvention est intégrée dans le décret des arts de la scène, et je pense qu’il s’agit d’une avancée très importante. Par ailleurs, nous avons achevé le conclave budgétaire ce matin, et il n’y aura aucune économie nouvelle en culture en 2017. «
Discours officiel : Sven Gatz,. Vlaams Minister van cultuur, media, jeugd en Brussel.
Alda Greoli et Sven Gatz aux Prix de la Critique – © © Benoît Matterne
Sur la collaboration entre KVS et Théâtre National. Texte préparatoire en néerlandais, exprimé en français à la cérémonie.
…Er zijn in Brussel en ons land huizen die van nature de twee cultuurgemeenschappen verbinden: Bozar, de Munt, Flagey… KVS en Théatre National daarentegen werden lang gezien als epigonen voor hun eigen cultuurgemeenschappen. Vanuit de Vlaamse Gemeenschap hebben we steeds een openheid naar de andere taalgemeenschap ondersteund, door bv. de boventiteling bij theatervoorstellingen mogelijk te maken. Dat werkte als een “warm welkom in eigen huis”. Jan Goossens en Jean-Louis Colinet zijn daarop verder gegaan. Het label van Tournée Géneral dat ze introduceerden, was een belangrijke symbolische stap voor een evolutie waarbij culturele instellingen hun naaste buur uit de andere taal- en cultuurgemeenschap meer en meer actief gaan opzoeken.
Discours officiel : Fabrice Murgia, Directeur du Théâtre National.
Fabrice Murgia – © © Benoît Matterne
» Je refuse de me retrouver, en tant qu’institution, dans la bataille à la production déléguée sous prétexte de valoriser de l’emploi artistique. Je connais trop la vie en compagnie. Il a fallu me détacher du National et créer une compagnie pour exister. Il faut qu’on reconnaisse ce besoin, cette nécessité, et qu’on se rende compte que ce n’est pas telle compagnie ou telle maison qui génère tel volume d’emploi supérieur à telle autre compagnie ou telle autre maison. Ce qui engage des personnes et crée de l’emploi, ce sont les projets. Le projet, c’est ce qui germe dans la tête d’un artiste ou d’un collectif pendant des mois, parfois des années. Ce qui crée de l’emploi, c’est ce que remue un(e) artiste, ou un collectif, qui s’empare d’une maison comme celle-ci.
Il faut connecter les artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles avec le monde parce que nous sommes fiers d’eux, nos ambassadeurs. C’est pour cela que dès la saison prochaine, le Théâtre National mettra à l’honneur la création Fédération Wallonie-Bruxelles, tous secteurs confondus, à l’image de Het Theater Festival. C’est pour cela que nous engageons nos forces et dépensons de l’énergie sur l’échiquier international afin que ce festival soit, dès l’an prochain, un lieu de rencontre pour les programmateurs internationaux, qui doit être, à terme, incontournable. »
Discours officiel : Christian Jade, président de l’ASBL » Les Prix de la Critique « .
christian Jade et Isabelle Wéry, présentatrice de la cérémonie – © © Benoît Matterne
» Vous avez dit Molières ? «
« Un petit mot pour rappeler ce que sont et ne sont pas, ces prix de la Critique. Un rappel pour les nouveaux venus et même pour les anciens.
Comme dirait Magritte ceci n’est pas un Molière. Les Molières en France, sont des prix donnés par les professionnels à des professionnels. L’argent y est roi, la présentation somptueuse et friquée, pleine de vedettes du théâtre et du cinéma et relayée par la TV.
Rien de tout ça ici : les Prix de la Critique sont attribués par une douzaine de critiques de la presse écrite et audiovisuelle. La cérémonie à laquelle vous allez assister est modeste, sans chichis, mini-mini-friquée, confidentielle mais avec un certain humour qui est la politesse des pauvres. »
Remerciement aux animateurs de la soirée.
Votre présence a rythmé idéalement la cérémonie, l’a rendue fluide et drôle, a semé le bonheur sur les visages. Et Benoît nous en laisse quelques belles traces. Quand l’instantané devient souvenir. Merci.
–Isabelle Wéry comédienne et chanteuse,-
–Christophe Morisset, musicien virtuose
–Joris Baltz:danseur acrobatique
-Benoît Materne, photographe
Palmarès.
Meilleur Spectacle
Tristesses, d’Anne-Cécile Vandalem
Meilleure Mise en Scène
Lorent Wanson pour Lehman Trilogy,
Prix spécial du jury
Milo Rau pour Five Easy Pieces
Meilleur Spectacle de Danse
Rushing Stillness de Marielle Morales
Meilleur Spectacle de Cirque
La Cosa de Claudio Stellato
Meilleure Comédienne
Valérie Bauchau dans Loin de Linden
Meilleur Comédien
Denis Lavant et Alexandre Trocki dans Elisabeth II
Espoir féminin
Audrey D’Hulstère dans Un tramway nommé désir
Espoir masculin
Iacopo Bruno dans Lehman Trilogy
Meilleur(e) Scénographe
Renata Gorka pour Un conte d’hiver et Tristesse Animal Noir
Meilleure Création Artistique et Technique
Cold Blood de Jaco Van Dormael, Michèle Anne De Mey et Thomas GunzigMeilleur(e) Auteur/Autrice
Céline Delbecq pour L’Enfant sauvage
Meilleur Découverte
Roda Fawaz pour On the Road…A
Meilleur Seul en Scène
Angelo Bison dans L’avenir dure longtemps m.e.s Michel Bernard
Meilleur Spectacle Jeune Public
STOEL de la Nyash Compagnie
Prix Bernadette Abraté
Jean-Louis Colinet (Théâtre National) et Jan Goossens (KVS)
-A la collecte générale des témoignages :
Christian Jade(RTBF.Be)
Cet article est également disponible sur www.rtbf.be