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Rencontre avec Cathy Min Jung, la nouvelle directrice du Rideau de Bruxelles

L’autrice, actrice et metteuse en scène Cathy Min Jung a été choisie au mois de juin, parmi 7 candidats pour assumer la direction artistique et générale du Rideau de Bruxelles. Elle prendra ses fonctions au mois de septembre succédant à Michael Delaunoy qui assurera jusqu’en octobre 2020 la direction artistique et générale de sa treizième et dernière saison. Il met en scène « Des Hommes endormis » de Martin Crimp du 22 septembre au 10 octobre.

Rencontre avec Cathy Min Jung, une jeune femme bien ancrée dans son époque qu’elle qualifie elle-même de « momentum » : un moment de grand changement, de tension extrême, de protestations multiples, pour l’écologie, pour les droits sociaux, pour le féminisme, contre le racisme.

L’artiste

Christian Jade : Comment vous définissez-vous comme artiste dans le paysage théâtral belge francophone de la Fédération Wallonie Bruxelles ?

Cathy Min Jung :  Je suis une femme de 46 ans, autrice, metteuse en scène, comédienne, réalisatrice. J’ai une compagnie de théâtre, « Billie on stage » (parce que fan de Billie Holiday), qui émarge au CAPT. Je pratique une écriture du réel où chaque pièce est le fruit d’un long travail de documentation et d’immersion. A partir de cette matière, je fais travailler l’imaginaire, j’essaie de trouver une réponse théâtrale.

C’est le cas de votre autobiographie fictionnalisée, « Les Bonnes intentions » (2012), inspirée en partie de votre expérience d’enfant coréenne adoptée à 3 ans et demi par une famille d’agriculteurs wallons. La fiction et la mise en scène transcendaient ce cas particulier pour le rendre universel. Même principe pour « Sing my life » (2016), votre 2ème spectacle ?

J’ai mené une enquête dans le milieu ouvrier mais aussi à travers des livres. Ça partait d’une envie d’explorer les dérèglements du monde de la finance et l’impact concret dans le quotidien d’ouvriers et d’ouvrières lorsque  leurusine fermait pour cause de délocalisation. A chaque sujet, j’essaie d’apporter une réponse théâtrale la plus adaptée, donc chaque fois différente. Au fil de l’écriture, la forme se dessine et une dramaturgie s’impose à moi.

Les Bonnes intentions, 2012

Votre « Cour des Grands » (2020), interrompue en plein vol par la crise du Corona, ne sera visible qu’en 2021.

Aujourd’hui, on est dans un « momentum », un moment de tension extrême, de protestations multiples : pour l’écologie, pour les droits sociaux, pour le féminisme, contre le racisme. Tout crie un désir de changement. En observant l’évolution de mon fils à l’école, j’ai pu rapidement constater que la cour de récré, c’est le Monde !

C’est là qu’on commence à devenir citoyen, à construire nos liens avec les autres, à expérimenter les rapports de pouvoir, les amours, les amitiés, les conflits. Les éducateurs ont un rôle clé dans l’accompagnement de ces futurs citoyens, mais ils sont complètement méprisés, sous-payés, pas valorisés. Dans « La Cour des Grands », j’ai voulu mettre en lumière le rôle de cette profession dans un changement de société.

La Cour des Grands sera jouée au Théâtre de la vie du 23 février au 6 mars 2021.

Vous renouez avec un théâtre de témoignage social ?

Ce qui prime pour moi, c’est l’imaginaire. Je ne veux pas faire du théâtre social, même si l’art est « politique » au sens noble du terme. Mais l’imaginaire transcende le réel. Je m’inspire du réel, mais je ne le reproduis pas tel qu’il est.

La Direction du Rideau

Christian Jade : Quel est votre rapport historique au Rideau ?

Cathy Min Jung : Je suis sensible et à la formidable équipe en place et à la tradition de Claude Etienne, orientée vers le théâtre de texte, l’écriture dramatique. J’ai à la fois un grand respect pour cet héritage et le désir d’y apporter des nuances, l’agrandir. Le Rideau doit davantage s’ancrer dans son territoire, son quartier, l’espace public et revaloriser tout ce qui est mission de service public du théâtre.

Vous écrivez qu’il faut élargir le public et représenter la diversité sur scène et dans la salle. Comment allez-vous faire ?

On est à un carrefour entre plusieurs communautés, Matonge, la rue Malibran et les Communautés européennes. Je n’ai pas de recette magique et il va falloir chercher. Quant à la diversité, on ne l’invente pas, on ne la construit pas, elle existe, qu’elle soit sociale, ethnique, culturelle… Il faudra mettre en place des évènements festifs fédérateurs qui donnent au plus grand nombre possible l’envie de partager un moment avec d’autres sensibilités.

Il est question dans votre projet d’un « collectif associé ». Des artistes issus de cette diversité y figurent-ils ?

Ma vision « artistes » pour le Rideau a deux axes principaux. D’un côté, il y a les « artistes du cercle mouvant », qui fréquenteront la maison au gré de leurs productions et qui changeront de saison en saison. Par ailleurs, il y a un groupe d’artistes, mais aussi de penseurs, de critiques, de philosophes dont j’ai envie de m’entourer pour discuter une fois par trimestre, avec l’équipe du Rideau et moi-même, des grandes orientations de la maison et questionner le sens même du théâtre dans la société d’aujourd’hui.

On peut avoir des noms ?

Bien sûr : Nancy Delhalle, Jessica Gazon, David Murgia, Etienne Minungu, Bwanga Pilipili, Laurence Vielle, Ilyas Mettioui, Petra Van Brabandt… J’aimerais impliquer ce « collectif associé » dans des activités de médiation et d’élargissement des publics. J’aimerais par exemple proposer à Laurence Vielle d’aller à la rencontre des habitants du quartier pour recueillir leurs paroles et en tirer un portrait poétique. J’imagine aussi un projet de quartier participatif que je dirigerais pour aller à la rencontre des voisins, pourquoi pas en collaboration avec le CPAS d’Ixelles et qui déboucherait sur un spectacle à part entière.

La notion classique d’ »artiste associé » n’existe pas dans votre programme ?

Je n’ai pas prévu d’ »artiste associé  » au sens classique mais le « collectif associé » en est la matrice. En son sein, il y a des créatrices et créateurs dont les projets pourront être accompagnés par le Rideau de Bruxelles.

Comment retrouver du public dans l’immédiat pour 2020-21 ?

Il faut diffuser cette saison 22020-21 imaginée par Michael Delaunoy en ne se focalisant pas uniquement sur le nombre de spectateurs présents. Les artistes doivent continuer à travailler, même si les représentations sont perturbées. On est tous traumatisés, il faut accompagner tout le monde, artistes et public. Les réponses à ces questions doivent se construire avec l’équipe.

Michael Delaunoy et Cathy Min Jung

Michael Delaunoy et Cathy Min Jung – © Beata Szparagowska

Comment imprimer votre marque dans la programmation 2021-22 dans le flou actuel ?

Il faut mettre en lumière le travail de création, en dehors de la représentation. Comment faire pour faire reconnaître ce travail ? C’est possible, il faut y croire ! J’ai la foi quand même dans le besoin d’imaginaire des artistes et du public ! Tout ça doit se construire avec les artistes.

Vous avez été produite par le Théâtre de l’Ancre, le Théâtre de Liège, la Maison de la Culture de Tournai, et vous souhaitez aussi collaborer avec Mars/Mons et toutes les nouvelles directions prochaines du Varia, du Jean Vilar et de Namur.

Oui, bien sûr. La crise Covid a ses revers mais elle peut être une contrainte stimulante qui nous oblige à requestionner les processus de production, de représentation, de création. Et moi, je suis dans la construction, toujours, cette contrainte nous oblige à réinventer comment on veut le faire, si on veut le faire et avec qui.

« Réinventer  » est devenu un mot galvaudé, mais ça peut être réellement stimulant si c’est pensé dans une finalité purement artistique et non dans une optique marchande de rentabilité…

« Réinventer » doit être une réponse à cette chape de plomb qui nous est tombée dessus avec la Covid 19.

Vous avez aussi un réseau de relations internationales, au Canada notamment.

J’aimerais importer à Bruxelles le festival « Jamais lu«  créé par Marcelle Dubois à Montréal, à Québec et à Paris. Il est consacré aux nouvelles écritures. Quatre textes  » en construction  » sont choisis et confiés à un groupe de dix comédien (ne) s qui les interprètent sous la direction de quatre metteurs/euses en scène. C’est le prolongement du RRRR Festival de Michael Delaunoy. Ça se fera en coproduction avec le « Jamais lu » de Montréal.

Votre signature, votre « mot de la fin » ?

Le Rideau de Bruxelles sera un lieu de création qui privilégie l’approche textuelle, avec un soutien actif aux auteurs et autrices de notre Fédération et une ouverture affirmée aux nouveaux récits. Un lieu qui défend une parole contemporaine polyphonique et pluraliste.

Retrouvez l’entretien de Cathy Min Jung dans Matin Première

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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