• Théâtre  • Reprise : Etes-vous Esclave (de l’Amour, du Net, du Pouvoir) ? Le théâtre (drôle) de Pauline d’Ollone vous libère! ***

Reprise : Etes-vous Esclave (de l’Amour, du Net, du Pouvoir) ? Le théâtre (drôle) de Pauline d’Ollone vous libère! ***

« Où suis-je ? qu’ai-je fait ? » interroge une jeune Française de Bruxelles, déjà auteure d’une adaptation subtile du « Banquet » de Platon. Pauline d’Ollone adore la philo et les idées mais vécues et servies à point par un quatuor d’acteurs complices qui jonglent avec l’espace et le temps, la littérature et la politique, le corps et les sentiments.

Une grande et belle jeune femme blonde s’avance vers nous pour nous demander d’éteindre nos portables -un classique- mais elle ajoute, « impériale » une curieuse série de sous-entendus qui nous plongent dans une énigme « policière ».

Quand c’est la fille qui vous contacte en premier, il y a 99% de chances qu’il s’agisse d’une arnaque. Vous auriez dû faire attention… Ce n’était pas un ange lumineux. Vous avez pris de gros risques

Celle qui parle s’appelle Marina et sa bienveillance est truquée puisqu’elle incarne en fait une arnaqueuse russe qui traque les mâles en quête de Juliettes lointaines. On la retrouvera plus loin à la tête de « marinapourtoujours.com », un réseau et elle incarnera aussi une apprentie despote. Des rôles majeurs, de femme forte et manipulatrice où brille la jeune Sarah Messens, révélation d’un beau quatuor uni.

Sans transition on passe au Roméo éploré (Jérémie Siska) de Shakespeare et à sa Juliette (Héloïse Jadoul) juchée sur un échafaudage/balcon avec un ciel étoilé pour la poésie cosmique. Et Roméo d’attaquer son étoile : « Voyez comme elle appuie sa joue sur sa main. Oh ! que ne suis-je un gant sur cette main pour  toucher cette joue! « . Ce couple-là, souvent parodique, sera le moteur et le leitmotiv quasi musical, de l’action :  l’amour mythique basé sur une illusion et un abus de pouvoir. Mais, même morte, puis ressuscitée, Juliette, l’amoureuse, aura le dernier mot comme si de tous les « esclavages » dénoncés au cours de la pièce celui de l’Amour devait survivre. En témoigne la chute finale, ambigüe, de Juliette, qui hésite. Derrière elle, en toile de fond, un « réseau » trompeur. « Où suis-je ? qu’ai-je fait ? » : elle se (nous) résume.

 » Se perdre, accepter son incompétence, son incertitude…C’était quand la dernière fois ? Risquer une rencontre hasardeuse, boiteuse. Foireuse. Et peut-être détestable…. J’aimerais accepter de ne pas comprendre. J’aimerais que le bruit incessant se taise. « 

 

Une joyeuse sarabande sur la manipulation.

– © Hichem Dahes

Mais le noyau central interroge bien, avec une éloquence teintée d’humour, toutes les formes contemporaines de manipulation, des plus insignifiantes, les gourous des cours de yoga aux plus courantes et dangereuses :  les dérives du « net » pour capter le fric des pigeons en manque d’amour et donc prêts à la « servitude volontaire ». Et au-delà, l’asservissement des sociétés en recherche de l’homme ou de la femme providentiel(le), capable d’assumer leurs pulsions de soumission. Le grand porteur de cette critique ironique de nos dérives de société via le net c’est Pierange Buondelmonte. Il incarne avec vigueur et duplicité le complice (parfois critique) et la victime de la manipulatrice en chef, Marina, croqueuse de mâles sur le net et apprentie despote. Avec (parfois) des considérations politiques un peu didactiques, « journalistiques » ! Avantage : on (sou)rit beaucoup d’une caricature bien enlevée.

Quant à la mise en scène de Pauline d’Ollone, elle est parfaite.

D’abord par une direction d’acteurs très chorale nous offrant un groupe soudé dont le joyeux ping pong verbal cherche la complicité du public et l’atteint : pan dans le mille. Tous articulent et projettent le texte en souplesse, sans excès de décibels, ni de murmures hors de portée du public : un plaisir devenu rare.

Et puis elle a  un art consommé de rendre jouissive une triple intrigue complexe qui pourrait nous égarer et donc nous perdre. Or, subtilement faufilée, la partition nous semble évidente alors que son mélange d’allusions très littéraires, philosophiques et politiques pourrait peser.  Il n’en est rien.

Alors, le secret de la réussite finale ? la solidité du texte, l’humour décalé de l’ensemble et la cohésion de quatre acteurs qui ont chacun leur moment de grâce (Héloïse Jadoul, Jérémie Siska, Pierange Buondelmonte, Sarah Messens). De la belle ouvrage.

 » Où suis-je ? Qu’au-je fait « , texte et mise en scène de Pauline d’Ollone.

Reprise à l’Atelier 210 du 8 au 19 octobre

L’interview de Pauline d’Ollone

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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