• Théâtre  • « Un Conte allemand », le grand Art de la Marionnette. Drôle, poétique, séduisant ****

« Un Conte allemand », le grand Art de la Marionnette. Drôle, poétique, séduisant ****

« Le petit Chaperon Rouge » vous connaissez, tout comme « La Belle au Bois dormant » ou « Blanche Neige ». Ajoutez « Le Nain Tracassin », « Le pêcheur et sa femme » et d’autres contes parmi les 200 des Frères Grimm. Mais comment les lier ? Jan-Christoph Gockel et son complice Michael Pietsch, constructeur de marionnettes, se surpassent : une statue géante (de la Mort) surgit à la fin comme dans le « Pinocchio », vu l’an dernier au National. Mais l’intrigue pourtant complexe est drôlement mieux « ficelée », foi de marionnettes. Un chef d’œuvre.

En Allemagne les frères Grimm sont une racine majeure du patrimoine national, beaucoup plus importants que Perrault en France. Ils ont collecté au début du XIXe siècle par voie orale plus de 200 contes pour enfants dont les racines plongent dans le passé médiéval de leur pays. Ils sont donc à l’origine du fameux « romantisme allemand », fait de nationalisme médiéval et de rêve… de puissance politique. Leur amour de la langue allemande a entraîné ces savants à écrire une grammaire et un dictionnaire qui font toujours autorité. Ils ont été successivement sujets de Jérôme Bonaparte (bref « roi » de Westphalie comme frère de l’envahisseur Napoléon), puis du Prince Électeur de Hesse, qui surgissent non sans malice du spectacle de J.F.Gockel. Enfin, ils sont à la tête d’une curieuse « fratrie » de 6 frères et sœur suite à la mort précoce de leurs parents.

Les frères Grimm, c’est donc un peu l’histoire et la légende de l’Allemagne à un moment capital de son histoire, une métaphore de la formation de la Nation allemande, du Saint Empire déchu à la Révolution française, Napoléon, la construction de l’Allemagne moderne et le fascisme… sous-jacent.

Une mise en scène drôle et profonde, mêlant Conte et Histoire

Monika Dortschy, la Mère dans

Monika Dortschy, la Mère dans – © (c )Bettina Müller

Le tour de force génial de la mise en scène de Gockel (et de son complice le marionnettiste/manipulateur Michael Pietsch) est de placer la fratrie, la famille Grimm au centre, comme une troupe d’acteurs qui portent chacun un des contes, muni de « sa » marionnette qui met le récit à distance dans le plaisir du jeu, bercé de musique. Sur cette base drôle et cruelle du conte pour enfants Gockel parvient à raconter la famille Grimm (famille allemande… et universelle) et à fondre cette histoire dans l’histoire politique de l’Allemagne pendant 2 siècles ! Sans lourdeur ! Les contes, interrogations faussement naïves sur notre cruauté et nos folies, notre instinct de vie et de mort se prêtent naturellement à ce jeu sur la marionnette.  Le dédoublement permanent entre l’acteur et son « double » rejoint le thème très « romantique allemand » du « doppelgänger ». Les acteurs sont tous fabuleux, à la fois personnages-familiaux, portant leur conte avec un humour contagieux et racontant entre les lignes l’histoire politique de l’Allemagne. Le thème récurrent de la Mort rode sur l’ensemble, clef aussi de tous les contes…pour enfants. La Mère morte de la famille Grimm est omniprésente et drôle jusqu’à ce dialogue dans le miroir avec sa marionnette, son « double », la Mort. Elle annonce un final grandiose où une statue géante se déploie comme une métaphore implicite du « suicide allemand » (par le nazisme ?).

La Mère, la Famille, la Mort, l’Histoire, la Nation (allemande), les faux « happy ends » des contes pour enfants, vraies interrogations concrètes sur la vie et la mort : tout se tient dans « Un Conte allemand ». Il s’en dégage un charme irrésistible né du mélange de comique familial, d’art de la marionnette et de réflexion intense. On peut le vivre au premier comme au… 3è degré. 4 rappels ont salué la performance, très allemande et très européenne, très ancienne et parfaitement actuelle. Just great !

 » Un Conte allemand  » (J. F. Gockel). Au Théâtre National jusqu’à ce soir, 22 février.

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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