• Opéra  • Aix 2019. Le « Requiem » selon Castellucci et la « Tosca » de Christophe Honoré. Le triomphe du concept… incarné.

Aix 2019. Le « Requiem » selon Castellucci et la « Tosca » de Christophe Honoré. Le triomphe du concept… incarné.

La première année d’un nouveau directeur de festival est toujours guettée avec beaucoup d’attention et un brin de scepticisme.

Pierre Audi, metteur en scène franco-libanais, directeur pendant 30 ans du « Nederlandse Opera » d’Amsterdam l’a voulue radicale, cette prise en charge d’Aix. Une réussite globale.

Mozart, oui mais pas un opéra, son « Requiem », revu par le duo Castellucci /Pichon.

Répertoire ? XXè et XXIè siècle uniquement.

Avec « Tosca » de Puccini, confiée -à un cinéaste, Christophe Honoré.

« Grandeur et décadence de la ville de Mahoganny » (Kurt Weill/Brecht) mis en scène par Ivo Van Hove.

Une création contemporaine du jeune compositeur israélien Adam Maor, « Les 1000 endormis », oppose un premier ministre israélien et 1000 prisonniers palestiniens.

La seule « reprise », exceptionnelle de qualité, est le chef d’œuvre de Wolfgang Rihm « Jacob Lenz », coproduit entre autres par La Monnaie en… 2015 dans une mise en scène d’Andrea Breth, bouleversante de sombre poésie.

plus d’infos sur le site officiel du Festival

Le Requiem de Mozart. Disparition ou renaissance ?

On n’a jamais vu le Requiem de Mozart « mis en scène » sauf… à Bruxelles, à la Monnaie, il y a deux ans. Fabrizio Cassol complétait et recréait la partition de Mozart en s’inspirant de rythmes africains, avec des musiciens africains. Et en toile de fond Alain Platel introduisait la fin de vie d’une dame mourant « dans la dignité », avec l’acceptation de sa famille. Impensable en France, où la mort récente de Vincent Lambert maintenu dans un coma artificiel pendant 11 ans a pris l’allure d’une guerre civile nationale. Le double tabou, Mozart « détourné » et une femme en train de mourir aurait créé en France un traumatisme auprès duquel les quelques sifflets, couverts d’applaudissements (entendus le 12 juillet) pour la version « conceptuelle » de Castellucci, sont bien anodins.

Le jeune chef d’orchestre Raphaël Pichon et le vieux routier Roméo Castelluci s’entendent comme larrons en foire pour faire de l’œuvre de Mozart un chant de vie et d’espérance plus que d’effroi sacré. Avec comme point de départ la dernière lettre de Mozart à son père où il affirme que « la mort est le vrai but de notre vie…une excellente amie de l’homme… Son visage très apaisant et très consolant… est la clef de notre vraie félicité« .

Le Requiem inachevé, composé l’année de la mort de Mozart, a été complété par son disciple Süssmayr d’après ses indications. Et Pichon « complète » à son tour par des extraits de chants grégoriens, ou de musique funèbre maçonnique et même par une antienne anonyme défendue par un tout jeu chanteur impavide, Elias Pariente, au final. Voix fragile, vie fragile, menacée et d’autant plus belle, comme ces bouquets de fleurs ou ces arbres fauchés : la beauté de la vie tient à son caractère éphémère.  Comme cette œuvre inachevée condamnée à disparaître, comme les espèces animales et végétales, les œuvres d’art, les religions, toutes les constructions physiologiques et humaines : un catalogue de ces disparitions défile en permanence.

Et pourtant tout sur scène prouve que la vie est tenace, malgré ou à cause des menaces : au début une petite vieille se meurt dans son lit. Mais elle renaît en cours de route sous des formes féminines diverses, une petite fille sacrifiée (comme dans le Sacre du printemps) , la voix lumineuse des cantatrices et, à l’extrême fin, ce bébé posé délicatement sur le sol alors que brusquement la scène s’était renversée, inondée, dévastée, privée de toute forme de vie.

Surtout il y a cet extraordinaire chœur vivant, vibrant qui parvient à chanter à la perfection et à exécuter en même temps de curieuses danses folkloriques imparfaites, comme la vie. Ces virtuoses vocaux sont des sportifs qui parviennent à se vêtir et se dévêtir en un temps record pour changer de rôle à vue. Ce chœur est le corps multiforme de toutes les ambiances et rituels voulus par Castellucci, de l’ombre à la lumière, ici blanc et noir, là couleur terre, là encore rouge vif comme le sang.

La complicité entre Raphaël Pichon et Romeo Castellucci est totale, ce qui permet une belle harmonie entre Pichon, l’orchestre, le chœur et les solistes, tous remarquables  et Castellucci, peintre, chorégraphe, sculpteur de corps, brasseur de mort et de vie.

« Tosca » de Puccini : comment peut-on être diva ?

– © Jean-Louis Fernandez

Au cinéma on les appelle les « stars », à l’opéra, les « divas ». Christophe Honoré, cinéaste connaît bien les unes et les autres et son portrait de deux divas, l’ancienne qui joue le coach de la nouvelle est très bien pensé et exécuté, sauf au 2e acte, un peu plus plus artificiel. La  « Tosca » de Puccini se prête au jeu puisque le personnage central est une cantatrice, monstre d’ambition et de puissance, affrontant Scarpia, le chef de la police politique qui veut à la fois la posséder et se débarrasser de son amant, Cavaradossi, peintre et opposant politique.
A cette intrigue classique, Honoré introduit une variante : une Prima Donna, ancienne interprète du rôle reçoit dans son salon une troupe qui veut lui faire l’hommage d’une représentation de « Tosca ». Et la « conseillère » se prend au jeu, mais en même temps revit sa carrière, se compare et petit à petit devient jalouse de la jeune femme douée ! Et on a une intrigue au carré puisque le rapport de force entre Scarpia et Tosca à l’acte II se transpose soudain en un rapport de force entre les 2 divas. La vidéo permet à Honoré de construire en contre-point le passé de la prima donna ancienne qui se trouve être Catherine Malfitano une vraie prima donna de 70 ans d’une incroyable vitalité scénique. Elle joue ici avec finesse ce rôle ingrat : assister à la prise de possession de « sa » voix, donc de son pouvoir et de sa gloire, par la jeune Américaine Angel Blue, Miss Hollywood 2005 et grande vedette du Metropolitan ! Une révélation vocale, solide et souple dans l’aigu.
Le principe moteur est donc « l’opéra dans l’opéra » comme il y a le théâtre dans le théâtre. Le 2e acte pose quelques problèmes de vraisemblances dans la mise en abîme des 2 actions mais le 3e reprend de manière convaincante le propos initial de la « répétition » en plaçant l’orchestre sur scène dans les coulisses du Château St Ange. La synchronisation des jalousies et des morts tragiques des 2 divas et de leur amant fonctionne alors à la perfection dans son apothéose tragique. 

 » Les Mille endormis  » d’Adam Maor :  une fable optimiste sur Israël.

– © Patrick Berger

Les « 1000 endormis » sont des prisonniers politiques palestiniens en grève de la faim, menaçant les relations internationales du Premier Ministre, enfermé dans son bureau avec la cheffe des services secrets.  Il décide de les endormir pour différer le problème mais une épidémie d’insomnie peuplée de cauchemars envahit la population juive dont les enfants sont pris de soubresauts. Le Premier Ministre envoie alors la cheffe des services secrets comme espionne chez l’ennemi Mais elle revient convertie en humaniste universaliste. Un tour de passe-passe optimiste ! Une « fable », littéralement.

Ou plutôt une science-fiction sur la situation politique actuelle en Israël ? Ou une projection imaginaire sur un futur idéalisé ? Le livret du romancier Yonatan Levy  oscille entre caricature comique et poésie douce. Le message est sympathique mais laisse de côté les Palestiniens passifs et le livret en hébreu semble s’adresser à un public ciblé de connaisseurs. Esthétiquement Adam Maor se revendique à la fois de l’Ircam pour la modernité et de la tradition musicale arabe pour la mélodie. Musicalement le plaisir vient du rôle le plus réussi, la cheffe des services secrets, la cantatrice Gan-ya Ben-gur Akselrod et de l’excellente conduite musicale d’Elena Schwarz.

Cet opéra, produit typique d’Enoa (un programme de l’UE en soutien à la jeune création musicale dont Aix fait partie), ira ensuite en Finlande, au Portugal, au Grand-Duché de Luxembourg et peut-être en Belgique.

Le Requiem de Mozart version Pichon/Castellucci

disponible sur Arte Concert jusqu’au 5 avril 2020.

Tosca de Puccini, mise en scène Christophe Honoré

en replay sur Arte Concert jusqu’au 8 octobre.

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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