• Théâtre  • LA MONNAIE 23/24. LE RING DE WAGNER AVEC UN TIGRE DANS SON MOTEUR, ROMEO CASTELLUCCI.

LA MONNAIE 23/24. LE RING DE WAGNER AVEC UN TIGRE DANS SON MOTEUR, ROMEO CASTELLUCCI.

Peter de Caluwe, le directeur de La Monnaie, adore donner une couleur à chacune de ses saisons. Le fil rouge de 2023/24 « There will be fate », affirme donc que le destin nous guette mais que rien ne nous empêche de nous battre pour nous y opposer écrire notre propre histoire. Telles le yin et le yang, ces deux idées – la fatalité « divine » et le pouvoir « humain » d’agir – sont contenues à parts égales dans seulement quatre mots : There will be fate

En invitant pour deux saisons Romeo Castellucci, qui aime confronter sa vision du monde et son esthétique radicale à des chefs d’œuvre du passé, le « destin » du Ring de Wagner risque d’être tourmenté, entre ying et yang même si Romeo Castellucci nous en annonce une interprétation plutôt apaisée. Pas de vision globalisante de l’œuvre majeure de Wagner mais une esthétique adaptée à chaque étape de la tétralogie. Il nous promet ainsi une lecture épurée et symbolique de Das Rheingold, combinant éléments naturels et abstraction. Et de « la fantaisie et du folklore pour Die Walküre plongée dans les forêts mystérieuses, les eaux troubles et les grottes obscures. Les deux derniers épisodes Siegfried et Götterdämmerung verront le jour en 2024/25. Un très beau cadeau qui va illuminer deux saisons.

En tout cas un « coup » majeur de Peter de Caluwe de risquer un Ring, plus de 30 ans après celui voulu par Gérard Mortier, juste avant de filer diriger le Festival de Salzbourg.  Un Ring qui met les humains face à leur destin, un rapport de force douloureux et inégal avec les dieux, confié à un metteur en scène iconoclaste et à un chef d’orchestre transcendant, Alain Altinoglu, qui a donné une pêche d’enfer à l’orchestre de la Monnaie. 

La saison s’ouvre en septembre sur le premier opéra de l’ancien directeur de La Monnaie Bernard FoccroulleCassandra. L’héroïne troyenne prédisait avec lucidité le destin funeste de sa ville sans être crue. Une prophétesse (sabotée par un dieu injuste, Apollon) que Bernard Foccroulle met en parallèle avec une lanceuse d’alerte contemporaine, qui peine à se faire entendre sur les dégâts climatiques. Une voix lyrique dans le débat écologique, un « green opera » sous la baguette de Kazuchi Ono. Mythique et contemporain.

Autre opéra issu de l’actualité politiqueAli d’après le destin d’un jeune réfugié somalien qui a fui son pays natal à douze ans pour gagner la Belgique après un long périple par la corne de l’Afrique. Le metteur en scène Ricard Soler Mallol et le compositeur percussionniste Grey Filastine transforment cette épopée en destin volontariste et optimiste.

On retrouvera aussi une tradition bien établie, voulue par Peter de Caluwe : les « remix » d’opéras anciens regroupés selon une thématique nouvelle ou parallèle. On assiste pour le moment avec passion à Bastarda, narrant la vie d’Elisabeth I à travers quatre opéras de Donizetti consacrés aux Tudor. La saison prochaine ce sera Nostalgia e Rivoluzione d’après plusieurs œuvres de jeunesse de Verdi, ses « œuvres de galère ».  A travers un florilège de grands chœurs et d’airs brillants on assistera aux espoirs déçus de neuf  « révolutionnaires » soixante-huitards dans leur jeunesse puis quarante ans plus tard : Nostalgia !  Deux soirées thématiques décalées dans le temps, conçues par le dramaturge et metteur en scène Krystian Lada et le chef d’orchestre Carlo Goldstein

La saison est aussi faite de deux reprises illustres : The turn of the screw de Benjamin Britten mis en scène par Andrea Breth qui, en raison du Covid 19, n’avait connu qu’une vie par streaming en 2021. Et l’extraordinaire Conte du tsar Saltane de Nikolaï Rimski-Korsakov où le metteur en scène russe Dmitri Tcherniakov nous avait ému en plaçant au centre l’histoire un petit autiste perturbé par le divorce de ses parents. Inoubliable.

La saison s’achève par un hommage à Puccini, mort à Bruxelles en 1924, il y a 100 ans. Sa dernière œuvre inachevée Turandotravissant conte « orientalisant », sera revue et « corrigée », dans sa philosophie de base et même son rythme par le chef d’orchestre Kazushi Ono et le metteur en scène Christophe Coppens, dont l’imagination visuelle nous avait conquis dans La petite renarde Rusée (Foxie !) de Yanacek.

Une bien belle saison, qui rebondit en 24/25, par la suite et fin du Ring de Wagner avec, dans son moteur, le tigre Castellucci 

Christian Jade 

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