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Avignon 2016. FC Bergman et Aurélien Bory interrogent l’espace, l’espèce, l’art, la cité. 2 spectacles intelligents et fascinants.

L’un, « Het Land Not », du groupe anversois FC Bergman, part d’un tableau encombrant de Rubens pour explorer l’espace et le monde. L’autre, Espa(e)ce d’Aurélien Bory, utilise l’œuvre de Georges Pérec pour multiplier les expériences sur l’espace théâtre et insinuer, en allusion discrète, la vie de Pérec Dans les deux cas l’intelligence et l’humour font bon ménage pour notre plus grand plaisir.

« Het Land Nod » : un humour très visuel.

– © Christophe Raynaud de Lage

 

fait allusion à un lieu où Caïn fut exilé après avoir tué son frère Abel, le pays de Nod, où règne l’absence de but et de sens. Un lieu où les descendants et survivants de cette espèce biblique maudite, tentent de surmonter l’absurdité de ce vide existentiel.

Mais ce thème biblique, métaphysique, part du concret et reste ancré tout au long du spectacle dans les déambulations plutôt comiques, à la manière de Chaplin, de ces nains désemparés. Nous, public,  sommes enfoncés dans l’immense espace d’une salle du Musée d’Anvers reconstituée à l’identique. En restauration, elle abrite une toile impressionnante de Rubens,  » Le coup de lance « , où un soldat romain perce de sa lance le flanc du Christ. On y voit d’abord deux gardiens de musée et le conservateur qui tentent d’évacuer cette toile trop grande pour franchir les portes étroites de la salle. D’immenses échelles bornent la toile que les 3 clowns essaient maladroitement de décrocher, puis de mesurer. En vain : ces petits  » bonshommes  » ne sont pas à la hauteur de leurs ambition, comme nous. L’échec, très concret est comme une métaphore de notre impuissance à voir grand. Entre ce vain travail des gardiens, dépassés par leur « mission » viennent s’insérer des visiteurs. D’inévitables Japonais amateurs de selfies face à l’œuvre monumentale, un homme qui, face au Christ nu, se déshabille, en une dérisoire  » imitation de Jésus-Christ « . Une femme contemple la toile, urine et s’évanouit. Une autre essaie d’entraîner les hommes présents dans une sarabande dansée, comme pour réintroduire l’amour et le mouvement dans ce monde figé. Il y a du Platel ou du Pina Bausch dans l’ombre de cette improvisation chorégraphique. Tout comme il y a du Godard ( » Bande à part « cité avec la voix du maître) quand des visiteurs se lancent dans un marathon dérisoire autour de l’œuvre. A un moment donné une énorme déflagration fait tomber une partie du plafond et des parois permettant enfin l’ouverture de la salle. L’œuvre est évacuée dans un clair obscur sublime. Rubens est sauvé et c’est la salle, pourtant démolie, qui se transforme en œuvre d’art.

Le collectif anversois FC Bergmans produit là une œuvre muette géniale où le mouvement des acteurs, la beauté de l’espace, l’humour délicieux invitent le spectateur dans un spectacle ludique et subtil. Totale réussite.

 » Het Land Not « de FC Bergman, à Avignon jusqu’au 23 juillet.

Une tournée internationale jusqu’à fin 2017 dont Paris (Grande Halle de la Villette du 16 au 21 mai 2017).

-Déjà passés brièvement aux Halles de Schaerbeek mais on les reverrait volontiers !!

Christian Jade (RTBF.be)

Espa(e)ce d’Aurélien Bory : une perfection mathématique avec un brin d’humour.

Espaces Aurélien Bory

Espaces Aurélien Bory – © Christophe Raynaud de Lage

L’œuvre de Georges Pérec avec son humour oulipien se prête facilement à une approche à la fois rigoureuse et souple. Aurélien Bory ne s’empare pas des  » Choses  » de Pérec et de leur attaque ironique de  la société de consommation mais à un « essai » de Pérec, Espèces d’espaces, une sorte de  » journal d’un usager de l’espace « . Au lieu de juxtaposer les deux mots, Bory décide de les superposer en un mot nouveau  » Espa(e)ces  » et de considérer l’espace de la scène comme une page blanche Comme si la mise en scène était aussi une écriture métaphorique à étendre dans un espace scénique. L’écriture est présente dès le début avec 6 minuscules personnages jouant à épeler la première phrase du texte en brandissant des petits panneaux lettrés face à un énorme tableau noir.

Ce premier  » jeu  » en générera d’autres car ces personnages peuvent jouer sur plusieurs tableaux : théâtre, danse, cirque, chant. Ces divers univers de la scène se rejoignent, se complètent, s’opposent, relèvent des défis. Le moindre de ces défis n’est pas l’énorme décor à faire tourner  pour en révéler toutes les facettes et toutes les possibilités de jeu. Sur cette idée de base on apprécie alors les thèmes et variations, les solos et les duos d’acteur, contorsionniste ou chanteur avec une mention particulière au chanteur : non seulement sa voix passant du grave à l’aigu est belle mais il insinue le plus grave sans lourdeur : la mort de la mère de George Pérec, dans un camp de concentration, un épisode à peine évoqué dans son œuvre.

Au total on a une réflexion active, presque abstraite sur l’espace  et une réflexion amusée sur  » l’espèce « , nous en somme. Un défi réussi d’injecter dans une œuvre presque  » conceptuelle  » un humour et une tendresse très humains. Un beau mélange, raffiné. Pari tenu.

Espa(e)ces d’Aurélien Bory d’après Georges Pérec.

A Avignon jusqu’au 23 juillet.

A Lille, Théâtre du Nord du4 au 8 janvier 2017

Christian Jade.RTBF.be

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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