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Avignon 2016 : Interview Julien Gosselin, le plus Belge des Français. Programmé partout dans le monde…sauf en Belgique.

Un des must d’Avignon 2016, c’est « 2666  » roman fleuve, roman/monde de Roberto Bolano, mis en scène par un jeune homme du Nord/Pas de Calais, Julien Gosselin. Il avait déjà fait le buzz à Avignon 2013 avec une adaptation des  » Particules élémentaires « de Michel Houellebecq. Trois ans de tournée en France, à Berlin et Montréal. En Belgique, rien. Son dernier spectacle, « 2666 « , plus « démesuré » (12 heures, entr’actes compris) a un seul coproducteur étranger, le Stadschouwburg  d’Amsterdam.

Rencontrer Julien Gosselin c’est une partie de plaisir tant il est, à 29 ans?  » habité  » par son théâtre. Il répond à tout avec bonne humeur, sans l’ombre d’une hésitation.

 

Interview.(Julien Gosselin, (JG) parChristian Jade (CJ)

C.J : Ne jamais avoir été programmé en Belgique, un regret ?

 J.G : Les Beaux-Arts (Bozar!) de Bruxelles ont été vraiment intéressés par « Les Particules élémentaires » mais ce spectacle  ne rentrait pas bien dans leur salle. Le National s’y est intéressé mais n’a pas poursuivi .A Anvers, De Singel était vraiment intéressé mais pour un théâtre flamand, plus difficile de présenter quatre heures sur-titrées avec un jeune artiste qu’ils ne connaissaient pas. Mais j’espère que nous reviendrons à Anvers dans les prochaines années. Je viens du Nord de la France, entre Calais et Dunkerque donc je me sens plus belge que français. Je suis déçu que mon spectacle n’ait pas percé en Belgique. Le nombre de références belges que j’ai est délirant, à commencer par Jan Lauwers. Mes premières grandes expériences de spectateur, c’est en Belgique que je les ai vécues. Cette fois, « 2666 » va surement trouver un intérêt chez le public belge..

CJ :  » 2666 « , ce sont 12 h de spectacle, une  épreuve pour le spectateur ?

JG : La difficulté de réception de l’œuvre vécue par le spectateur crée un travail chez lui beaucoup plus nécessaire que la question du divertissement. Il ne passe pas nécessairement par la  » douleur mais par des moments de longueur ou d’introspection. En tant que spectateur et lecteur, se sont ces types d’expériences que je recherche. Je n’ai pas besoin d’être complètement diverti ou tenu en haleine.

Douleurs extrêmes et résistance de spectateurs.

– © Christophe Raynaud de Lage

CJ : Une trame policière semble parcourir les 5 actes/romans ?

JG : La vérité du spectacle ne tient pas forcément au roman policier dont part le récit. La question du suspense est l’une des questions du livre mais il y a deux thématiques centrales, la violence et la littérature. Au fond, il s’agit d’une thématique : le combat de la littérature contre la violence et le combat de la violence du réel contre la littérature. Il y a dans le fond de l’œuvre elle-même des questions aux raisons d’être du roman et du combat que livre l’écrivain (l’artiste, le lecteur ou le spectateur). J’ai envie de dire que tous se retrouvent dans ce combat-là, un combat difficile, que l’on ne peut jamais gagner. Parfois il s’agit d’un combat contre le « trop » comme dit Bolano quelque chose qui n’a pas de fin. La violence n’a pas de fin. Bolano essaie de trouver un début à cette violence. Il ne le trouve pas. La fin, il ne la trouvera jamais parce que le monde ne s’arrêtera jamais et la littérature non plus n’a pas de fin.

CJ:J’ai personnellement été très mal à l’aise avec cette violence dans la 4è partie par l’énumération impitoyable pendant plus de 2h de ces centaines de jeunes filles violées, torturées et massacrées. Avec une musique qui accentue la brutalité des faits.

JG : J’essaie de faire en sorte que l’on entende des voix annihilées et que la littérature se retrouve détruite à un moment donné par la violence du monde. C’est une chose que se joue notamment avec la musique du plateau. Dans la quatrième partie, nous avons essayé de faire en sorte que cette musique ne soit pas un accompagnement bienheureux mais quelque chose inscrit au cœur de la violence. J’ai envie de placer le spectateur à l’intérieur d’une expérience qui soit trop importante visuellement et auditivement pour sa compréhension. J’ai envie de le placer à travers une tonne de littérature qui soit à un moment donné presque  » trop  » pour lui. Je crois que le spectateur peut percevoir cette chose là.

La quatrième partie fait 400 pages dans le livre. Le seul reproche que l’on peut me faire et que je peux entendre est que quand on a un livre on peut le lâcher. Au théâtre, soit on sort, soit on reste. C’est tout de même plus difficile comme expérience et c’est typiquement là que le théâtre à un intérêt en tant qu’art. Et c’est quasi le seul. Sinon, on ne fait plus de théâtre. Là, on peut proposer au spectateur d’être face à une violence et de choisir ou non de pouvoir en sortir. Il y a une heure trente de musique. Ensuite il y a un très long texte et dialogue. Ce n’est pas par principe de fidélité au livre. Mais à un moment donné les 400 dernières pages témoignent de cet intérêt pour la violence. Le noyau du livre est là. Si je simplifie la tâche au spectateur, je suis lâche envers moi-même et envers le message de la littérature que j’explore.

On ne voit pas les actions sanglantes et cela nous oblige à les imaginer. C’est d’autant plus violent. J’utilise beaucoup d’armes du théâtre qui permettent aux spectateurs de  » ressentir « . Il s’agit de mettre le spectateur face à sa position pure de lecteur et de personne qui imagine. Il est au cœur du travail. C’est lui qui agit le plus. 

 » 2666 «  d’après  Roberto Bolano, m.e.s de Julien Gosselin

-à Avignon jusqu’au 16 juillet.

-à Paris, Théâtre de l’Odéon, du 10 septembre au 16 octobre.

-à Amsterdam, Stadsschouwburg, du 17 au 21 mai 2017.

Christian Jade. (RTBF.be)

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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