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Festival Aix-en-Provence 2016.Première mondiale: un opéra en arabe,  » Kalila wa Dimna « .

Bernard Foccroulle, ancien directeur de la Monnaie, actuel directeur du Festival d’Aix-en-Provence a de fortes convictions d’artiste et de citoyen.

Comme artiste il est attaché à la musique baroque et contemporaine. Comme citoyen il est orienté vers une ouverture sociale généreuse et au niveau européen vers un dialogue inter-méditerranéen. Cette année il unit convictions artistiques et politiques en permettant la création d’un opéra en langue arabe auquel il travaille depuis 3 ans. L’œuvre confiée à Moneim Adwan, un chanteur compositeur Palestinien vivant en Europe depuis 9 ans, nous a plus qu’agréablement surpris.

Vous lirez ci-dessous les commentaires  du metteur en scène Olivier Letellier et sur l’œuvre et sur son auteur

Critique.

Kalila wa Dimma : une fable ancienne, toujours actuelle, sur le pouvoir.

La fable est un classique de la littérature arabe, remontant au VIIIè siècle, mais s’appuyant sur des contes indiens animaliers. Ce genre de fable sur lesquelles s’appuya La Fontaine pour caricaturer la Cour de Louis XIV. Les auteurs du livret Fady Jomar et Catherine Verlaguet ont laissé le lion, le bœuf et le chacal se faufiler dans une mise en scène qui place au centre un Roi aux prises avec un choix : son principal conseiller Dimna (chanté par l’auteur/compositeur Monein Adwan) engage à la Cour un poète Chatraba aux idées un peu trop révolutionnaires. Jaloux de ce pouvoir Dimna tentera d’éliminer le poète. On croirait voir Valls introduire Macron…puis s’en mordre les doigts (sauf que Macron n’est pas un poète révolutionnaire !!!). Plus sérieusement il y a une réflexion sous-jacente sr le printemps arabe et la difficulté d’introduire des idées nouvelles dans un système archaïque. Il y a aussi 2 rôles de femmes: la narratrice (sœur du courtisan Dimna) et la mère du Roi. Le metteur en scène, Olivier Letellier y voit un signal fort : Ce n’est pas anodin d’avoir choisi une femme pour venir raconter une histoire de liberté dans le monde arabe et occidental. Elle prend la parole pour dire à quel point l’expression est essentielle, que c’est essentiel de pouvoir se parler. Les deux visages de femme ont un impact très fort. Dans l’histoire d’origine, ce sont deux frères, deux hommes. La fable a été transposée car aujourd’hui on raisonne différemment. Donner la parole à une femme est un geste fort dans ce contexte là,  la première création d’un opéra mondial en arabe. C’est important que ce soit une femme qui porte la parole. « .

La musique nous a charmé comme un concert de musique du monde de haute qualité mâtiné de trouvailles plus occidentales : le rythme, la mélopée des voix,  certains instruments (percussions, qanun qanun) sont très  » arabe classique  » mais stylisés par un violon et un violoncelle avec des échos plus contemporains. Les voix, masculines et féminines sont superbes de charme et de vigueur et la mise en scène d’Olivier Letellier nous place dans un décor oriental stylisé où l’humour a même sa place. L’œuvre ne sera visible dans le monde arabe que dans l’émirat de Barhain, coproducteur. Une hirondelle ne fait pas le printemps. Et si les idées généreuses volent, les œuvres des hommes marchent au pas. A petits pas.

Olivier Letellier, metteur en scène, retrace le parcours du compositeur.

Moneine Adwan(chanteur et compositeur) et Reem Talhami dans

Moneine Adwan(chanteur et compositeur) et Reem Talhami dans – © Patrick Berger

Pour moi, Moneim Adwan est un compositeur de génie. Il est originaire de Gaza mais il a beaucoup voyagé (notamment en Belgique).C’est une éponge. C’est-à-dire qu’il a une formation de musique orientale, il a fait beaucoup de jazz et depuis 8-10 ans qu’il est ici il se nourrit aussi de beaucoup de musique classique. Il écoute énormément d’opéras. Il est venu au festival d’Aix invité par Bernard Focroulle et Emilie Delorme (la directrice de l’académie et de l’orchestre des jeunes de la Méditerranée). Elle a eu un rôle majeur dans notre production car elle nous a  accompagnés et portés depuis le tout début. Elle est aussi allée faire toutes les auditions du périple  autour de la Méditerranée. Sans elle le projet ne serait pas ce qu’il est. C’est aussi elle qui m’a fait venir car je suis passé par l’académie en 2012. Du coup, Moneim Adwan s’est servi de toutes ces choses qu’il a pu entendre et il les injecte dans toute sa musique à plein de moments différents. Pour des néophytes que nous sommes, cela peut sembler de la musique arabe traditionnelle. Mais les musicologues spécialistes de la musique arabe nous disent qu’il y a de vrais métissages qui s’inspirent autant de l’Inde que du Moyen-âge, de Moyen-Orient que du Maghreb et  de l’Occident. Il y a des moments où Moneim fait véritablement allusion à des constructions qu’il a entendues chez Mozart, Haendel ou d’autres. Il a cherché à métisser les genres, à mixer les choses, à les superposer par moments, et moi aussi. Je l’ai énormément accompagné car Moneim Adwan n’avait pas vraiment l’habitude de la dramaturgie, de se dire qu’une musique devait raconter une intention et accompagner l’évolution des personnages sans être redondante ou illustrative du texte. ll fallait que le spectateur puisse se récréer sa propre histoire à partir de tout cela, sans que ce soit pour autant du travail prémâché.

Kalila wa Dimna de Moneim Adwan.

A Aix jusqu’au 17 juillet. Puis à Lille, Dijon et Bahrain.

Christian Jade. (RTBF.be)

 

 

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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