• Théâtre  • « Crever d’Amour », d’Axel Cornil. Une Antigone africaine, brute de décoffrage ***

« Crever d’Amour », d’Axel Cornil. Une Antigone africaine, brute de décoffrage ***

Je reproduis ici de larges extraits de ma critique publiée lors de la création du spectacle au Rideau la saison passée. A voir jusqu’à demain samedi au

Jacques Franck   http://www.lejacquesfranck.be/

http://www.rideaudebruxelles.be/

 » Après Freud, Henri Bauchau, Sartre, Anouilh Axel Cornil adapte la sombre histoire des Atrides à une sensibilité et un style contemporains. L’opposition entre la force « raisonnable » des lois (Créon) et les valeurs sacrées de la justice (Antigone) est centrale avec une rage de style qui nous explose au visage.(voir citations du texte ci-dessous)

Un texte violent et ouvert

. Avec une étonnante maturité, il ouvre le débat en laissant la réponse ouverte Voici comment il définit son projet

 » C’est une tragédie car personne n’a raison et tous sont des monstres. Je voulais interroger l’essoufflement de notre monde occidental On ne peut avoir d’empathie pour aucun d’eux. Ils agissent comme répulsifs. Si une société devait épouser un des points de vue, elle deviendrait de toute façon fasciste. L’intérêt de la tragédie, c’est qu’elle met en scène des tensions fondamentales. Et qu’après la représentation on puisse en discuter tous ensemble. « 

La parole aux jeunes Africains.

De 2011 à 2015, de jeunes Burkinabés se sont mobilisés contre la brutalité, la corruption et la volonté de Blaise Campaore de se maintenir au pouvoir…puis d’y revenir par un coup d’Etat militaire.

Cette guerre civile, ancienne et contemporaine apparaît dans Crever d’amour, via deux personnages secondaires drôles, désespérés et paumés qui ramassent les morts dans la ville et sont condamnés à s’engager dans l’armée pour la prochaine guerre civile. Venus de Ouagadougou les deux jeunes acteurs qui les incarnent précipitaient, à la création en 2015 le rythme, rendant parfois difficile la compréhension de leur rôle.. Dans la version 2017 ils sont surtitrés pour que rien ne nous échappe. Ils ont une incontestable présence scénique

Les 2 rôles principaux (Antigone, Créon) sont tenus par de jeunes acteurs africains vivant en Europe dont l’élocution est plus fluide. On retrouve avec plaisir Consolate Sipérius, en Antigone, nominée jeune espoir 2014, dont Frédéric Dussenne approfondit le talent et l’intériorité, expressive dans le silence, la véhémence ou la rage sacrée.

(NB: Entretemps Consolate, vue dans ce spectacle,  a été engagée par le Suisse Milo Rau  pour un autre spectacle que je vous recommande 

 » Compassion. L’histoire de la mitraillette  » de Milo Rau sur un génocide burundais méconnu. Théâtre de Liège les 30 et 31 Mars.)

Quant à  Virgile M’Fouilou, découvert au Claude Volter (Mémoire de papillon) il incarne un Créon froid, cynique et maîtrisé, très convaincant. La seule actrice … »blanche de peau », Salomé Crickx (22 ans), se donne à fond dans le rôle d’Ismène, incarnation de la sensualité provocante, face à son « androgyne » de sœur, folle de sa mission sacrée. Splendide premier rôle.

Une mise en scène chorégraphiée de Frédéric Dussenne.

Frédéric Dussenne évite, comme d’habitude, le réalisme préférant une scéno dépouillée qui laisse la place au texte. Avec une belle trouvaille, visuelle et rythmique : le chœur, incarné par des jeunes appartenant à la communauté africaine de Belgique, est joliment chorégraphié par le burkinabé Serge Aimé Coulibaly. Leur commentaire muet et mimé de l’action ajoute au texte vigoureux d’Axel Cornil une émotion physique, sensible et une touche d’authenticité africaine. « 

Crever d’Amour, d’Axel Cornil, m.e.s de Frédéric Dussenne .

A voir jusqu’à demain samedi au

Jacques Franck   http://www.lejacquesfranck.be/

production du Rideau de Bruxelles http://www.rideaudebruxelles.be/

 

Christian Jade (RTBF.be)

 

CITATIONS : Texte co-édité par Lansman éditeur et Rideau de Bruxelles. (Si je crève, ce sera d’amour)

Antigone. :  » Je suis la sœur sainte des égarés, des paumés, de tous les clochards, les ivrognes, les putes, les lépreux, les syphilitiques, les sidaïques, les boiteux, les borgnes, les bègues, les aveugles, les manchots, la sœur sainte des monstres, des mal formés, des pustuleux, galeux… Des oubliés et des vaincus ! Je suis l’affranchie et l’exilée, l’apatride, la déchue. Mon pays à moi c’est celui des êtres ignorés, des poux et de la vermine. Vous ne me faites pas peur… « 

Créon :  » La chair souffre… ou jouit, je ne veux pas souffrir. Je souhaite la paix et le bonheur du plus grand nombre. Je veux une ville nouvelle, régie par la loi et non par l’archaïsme des pulsions. Je veux que nous progressions au lieu de stagner dans les eaux boueuses de notre naissance, dans la fange et les viscères de notre accouchement…

 

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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