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Festival de Liège : « Wedding » et « Jami Distrikt ». Deux satires sociales grinçantes et drôles, 3 à 4*.

La programmation du Festival de Liège c’est du « Jean-Louis Colinet » pur jus : un théâtre qui raconte la société contemporaine avec une distance amusée et une rage contenue. Il donne la parole à trois jeunes actrices qui cassent le nationalisme mortifère dans l’ex-Yougoslavie, ça donne « Jami District » (hélas plus visible). Et une vedette internationale, Oskaras Koršunovas transforme Brecht en un joyeux drille. Ne ratez pas « Wedding », la seule pièce du Festival à revenir au Théâtre National… dès ce soir mercredi.

« Wedding » : des « petits-bourgeois » assaisonnés à la sauce piquante ****

Brecht avait 20 ans quand il écrit cette « Noce chez les petits-bourgeois » avec un « jus », un « peps » juvéniles. La critique sociale est bien là mais pas encore érigée en système didactique. J’ai souvenir d’une mise en scène sarcastique de Michel Dezoteux, en 1988, il y a 30 ans, qui en remettait un peu sur l’accent bruxellois avec des acteurs superbes, Christian Hecq, Bernard Yerlès, Patrick Descamps, et les sœurs Salkin ! Un régal.

Le même « bonheur » sur scène se déploie dans la version dOskaras Koršunovas, metteur en scène lithuanien… international. Quand il passe furtivement chez nous, il ne faut pas le rater ! Sa fameuse adaptation de « Hamlet » a transité 2 jours à Bozar en 2013. Ce « Wedding » libre adaptation de Brecht (« Noce chez les petits bourgeois ») a passé 2 jours à Liège et revient pour 3 jours au National du 13 au 15 février.

C’est l’histoire d’un couple banal, conventionnel et pathétique qui invite famille et amis à ses noces commencées dans la joie et les conventions : bouffe, alcool, danse, joie et patatras, l’édifice se fissure petit à petit. Les hypocrisies surgissent, la mariée est enceinte, elle est draguée par un invité et le portrait de groupe tourne à la catastrophe, à la fois amère et drôle. On frise la farce tragique on est plongé dans un doux amer mélancolique.

La scénographie colle au texte puisque le fiancé a tenu à faire lui-même ses meubles, comme un vaillant artisan menuisier dont l’œuvre s’effondre progressivement comme son couple. Koršunovas situe la scène  dans un contexte et lithuanien et universel avec une série de clins d’œil à l’actualité politique de son pays, au pouvoir économique … d’Ikea et au théâtre -post post dramatique. Premier et deuxième degrés assurés.

Mais surtout les rapports amour/haine, les luttes sournoises, les hypocrisies dévoilées sont jouées avec une perfection  » russe  » (sa formation initiale) par une troupe d’acteurs remarquables qui ont l’air d’improviser alors qu’ils sont rigoureusement cadrés. Des acteurs qui jouent très  » physique « , qui sont constamment à l’écoute les uns des autres ce qui leur donne une aisance totale et le bonheur pour tous.

Un must, comme on dit.

« Wedding » (d’après Brecht) d’Oskaras Koršunovas au Théâtre National du 13 au 15 février.

« Jami District » (Kokan Mladenovic) Trois jeunes femmes en colère caricaturent le nationalisme guerrier ***

– © Jean Lalic

Les Serbes eux aussi sont redevables de ce remarquable travail d’acteurs des pays dits d’Europe de l’Est, à part qu’ici ce sont 3 jeunes actrices orchestrées par Kokan Mladenovic et totalement investies dans une caricature des conflits entre Serbie, Croatie et Bosnie, 3 religions pour un peuple parlant la même langue. La situation part d’une découverte archéologique que chacun revendique comme l’Ancêtre idéal en s’emparant par la force d’un morceau du squelette.

Une situation absurde qui se développe au plus près d’une actualité certes balkanique mais qui symbolise toute l’Europe, en voie de dissolution sous la pression des nationalismes chauvins. Ajoutez chez ces jeunes femmes follement dynamiques une caricature du mâle dominant, qu’elles incarnent avec un humour ravageur et une façon de porter de manière savoureuse la langue et le corps, le chant et la danse : des artistes complètes accompagnées de musiciens pour rythmer l’ensemble, avec une vidéo minimaliste. Le texte et la dynamique des corps et la joyeuse complicité des jeunes amazones nous entraînent dans une sarabande caricaturale qui leur a valu le soir de la première une standing ovation méritée. Un de ces petits bijoux hors circuits commerciaux qu’on ne voit plus qu’au Festival de Liège. Où Jean-Louis Colinet prolonge via 3 jeunes actrices belles et fortes l’esprit du cabaret politico-humoristique et absurde de Karl Valentin.

NB : un spectacle tonique happé au hasard de ce festival et prolongé nulle part ailleurs… en Belgique.

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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