• Théâtre  • « Il ne dansera qu’avec elle » (A. Laubin, T. Depryck): un premier bilan avant reprise à Liège.

« Il ne dansera qu’avec elle » (A. Laubin, T. Depryck): un premier bilan avant reprise à Liège.

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Le spectacle d’Antoine Laubin et Thomas Depryck « Il ne dansera qu’avec elle » a suscité des réactions fortes et mélangées lors de son long séjour au Varia où il a rempli la salle à 80% pendant 3 semaines, en octobre. Le thème, le désir et la sexualité, sous toutes ses formes dans la tranche 30/40 ans intéresse un large public malgré une forme volontairement  » hétérogène « . Antoine Laubin, à la veille de la reprise du spectacle au Théâtre de Liège, dresse un premier bilan.

Interview d’Antoine Laubin (AL) par Christian Jade (CJ).
CJ : Comment as-tu ressenti les différentes réactions du public et des critiques face à ton nouveau spectacle, aboutissement d’un travail de 5 années ?
AL : Il y a beaucoup de réactions et de critiques dans tous les sens. C’est un spectacle qui est très hétérogène et qui comporte des scènes parfois littéraires, parfois improvisées, le tout dans un langage très courant, avec un éventail entre ces 2 extrêmes qui vont du monologue à la scène à 12.C’est certainement l’un de nos spectacles qui a le plus  » fait parler « . Par exemple, à la fin des représentations, le public accoudé au bar était nettement plus imposant que d’habitude. Certains viennent nous trouver et cela donne lieu à des échanges intéressants. J’en suis heureux.
CJ : Le thème est porteur : la sexualité. Y a beaucoup de remarques sur la forme, le fond ?
AL : Beaucoup de gens ne sont pas d’accord sur la dernière scène du spectacle (NDLR : une scène de viol), une note noire au regard de l’ensemble du spectacle qui se déroule dans une atmosphère plutôt agréable. Notre thème serait plus le désir que la sexualité. Il est large et complexe. C’est pourquoi il peut porter à la confusion.
CJ : Les anecdotes et l’humour sont présents. Il y a des récits liés aux vécus des acteurs, d’autres pas. C’est une sorte de  » patchwork « ?

AL : Le travail d’écriture s’est fait en plusieurs étapes. Au départ, je suis parti d’interviews-vidéos d’environ une heure auprès de chacun des acteurs. Il était question de leur réalité intime et de la place de la sexualité dans leur vie. Je leur ai demandé comment leur sphère intime les détermine dans leur rapport à la société actuelle. Ces 12 heures d’interview ont donné lieu à un premier atelier de travail avec Thomas Depryck. Ensuite, nous nous sommes inspirés de propositions d’adaptations de séries et de films avec quelques improvisations collectives. Cela a commencé en avril 2014 puis au printemps 2015, enfin, durant cet été 2016, nous avons eu 7 semaines de création. Ce n’est pas grand-chose pour un spectacle comme celui-là. Le spectacle s’est réécrit par élagage jusqu’au jour de la générale. La conduite s’est modifiée. La structure de base du spectacle se calque sur le concept deleuzien de l’agencement et nous expliquons aux spectateurs la raison pour laquelle les scènes sont si hétérogènes. Une bonne part du spectacle n’est pas maîtrisée. Les acteurs sont réellement libres sur les contenus abordés à l’intérieur d’un cadre d’énonciation très précis. Parfois les hasards sont très heureux, parfois moins. C’est le propre de l’improvisation. Cela a été pensé de façon à ce que l’on puisse parler de la pudeur qui existe en chacun de nous. Cette pudeur nécessite une certaine spontanéité et une fragilité du moment. L’authenticité crée une certaine qualité d’écoute et du message. Pour moi, c’est une vraie plus-value.
CJ : Est-ce la première fois que tu utilises la vidéo dans l’un de tes spectacles ?
AL : Nous l’utilisons souvent entre nous, en répétitions mais face au public c’est la première fois, pour accentuer un rapport d’intimité entre l’acteur et le spectateur, palpable jusque dans le fond du public du Varia. Les douze acteurs sont toujours en scène mais ils ne jouent pas tous en même temps. La caméra est également un moyen de vectoriser le regardant autant que le regardé, de conditionner le point de regard.

CJ : Au niveau des rythmes, il y a des adagios (parties plus lentes et confidentielles) qui ne sont pas forcément audibles et qui ralentissent l’atmosphère générale. Est-ce que dans cette hétérogénéité générale, l’alternance des rythmes ne pourrait pas être un peu plus sensible ?

AL : Oui, nous la modifions sans cesse mais pour être tout à fait franc, Thomas Depryck et moi-même tenons à maintenir cette dynamique de création spontanée que l’on retrouve dans la plupart des spectacles qui se laissent une part d’improvisation. La recherche d’une narration lisse, polie et ficelée ce n’est pas pour nous. Notre recherche est mouvante. La force du geste artistique est d’avantage liée à la prise de risque, l’expérimentation, la présence des acteurs et leurs énergies. La  » mise en danger collective  » est un moyen de donner une certaine part d’authenticité dans le propos partagé au public.

CJ : Il n’y a pas que le public et les critiques. Il y a aussi les programmateurs qu’il faut convaincre afin de donner la possibilité aux douze acteurs d’avoir l’occasion de tourner avec ce spectacle.

AL : Evidemment que je ne cherche pas à être le plus contradictoire ou brouillon possible. Le public que je vise est très large. La narrativité que je propose est tout à fait accessible à la plupart des spectateurs avertis ou non. Il y a certains temps morts. Et il y a beaucoup de réactions fortes de la part du public après cette expérience.

CJ : Les différentes anecdotes sont présentées collectivement, mais elles n’appartiennent pas toutes aux acteurs qui nous les présentent. Or, on pourrait croire que les confessions sont authentiques.

AL : Je n’utiliserais pas le mot confession. Que ce qui soit dit soit vrai ou faux a peu d’importance pour moi puisque ce qui compte est la nature du lien entre la scène et la salle. Il faut que la scène n’ait pas une position de surplomb face à la salle. Nous sommes embarqués dans le même bateau face à un sujet difficile à aborder. Et c’est à cet endroit que nous allons essayer de partager une expérience de réflexion ensemble. Pour y arriver, la fable ou la fiction sont des canaux que l’on peut utiliser au même titre que d’autres. Chaque récit de ce spectacle est prétexte au partage de ce moment.

CJ : Au fond, quel est le pitch, un résumé qui englobe toutes ces histoires ?

AL : Il s’agit de douze individus d’aujourd’hui qui s’interrogent sur la place du désir dans leurs vies. Ou encore : c’est une tentative de concrétisation scénique du concept d’agencement selon Gilles Deleuze.

« Il ne dansera qu’avec elle » (A. Laubin, T. Depryck):

Au Théâtre de Liège, du 15 au 19 novembre. http://theatredeliege.be/

Christian Jade(RTBF.be)

 

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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