• Festivals  • Paris  • Opéra de Paris. Pretty Yende,  » Lucia de Lammermoor »: une irrésistible jeune diva sud-africaine.

Opéra de Paris. Pretty Yende,  » Lucia de Lammermoor »: une irrésistible jeune diva sud-africaine.

L’Opéra de Paris, sous la direction de Stéphane Lissner, projette dans la lumière, en ce début de saison, de jeunes cantatrices au timbre de voix et aux moyens techniques exceptionnels.  C’était le cas, dans « Samson et Dalila » de Saint Saëns où éclatait le talent somptueux de la Géorgienne Anita Rachvelishvili. Encore plus soufflante la performance de la jeune soprano colorature sud-africaine Pretty Yende (31 ans), dans ce rôle de haute voltige, « Lucia de Lammermoor », ce « monument » de bel canto romantique de Donizetti, plaçant la folie au cœur d’un sordide et dramatique marchandage conjugal. Un rôle sur lequel plane l’ombre de la Callas, mais aussi de Joan Sutherland, Edita Gruberova et plus récemment d’Ana Netrebko. Des légendes, en somme.

Dans une très belle interview à « Libération » son manager Ilias Tzempetonidis raconte la saga de cette jeune femme, née dans un township sud-africain et dont la vocation s’est décidée en écoutant le Duo des fleurs de Leo Delibes dans une publicité British Airways à la télé quand elle avait 16 ans ! Légende dorée ? Le reste est travail, volonté et un minimum de chance. Ce diamant, encore  » brut  » est repéré au Concours international Belvédère (1er prix en 2009). La plus grande  » bourse des chanteurs mondiaux  » où furent repérés, entre autres, Maria Bayo et Angela Gheorghiu. Pretty Yende se perfectionne à la Scala, dans de petits rôles, pour ne pas forcer son talent. Le défi actuel, être mûre pour affronter un rôle aux exigences techniques terrifiantes se construit depuis 2012. Ilias Tzempetonidis , son manager, dans Libération (24 octobre)

: » Lucia di Lammermoor fait peur. Nous avons commencé à parler du rôle avec Pretty en 2012. Je l’ai écoutée… mais elle n’avait pas le contre-mi bémol…Terreur. Pas de contre-mi bémol sur la cadence de l’air de la folie, c’est un gâteau d’anniversaire sans bougie, voire sans cadeau. « Si la « folie » n’est pas bombastic, ça ne sert à rien. On a donc arrêté d’en parler. Pretty n’a rien laissé paraître mais elle a été très touchée…Elle est retournée travailler. »Quelques mois plus tard le contre-mi bémol était là. « 

Que faire d’un contre-mi bémol ?En faire don à un public en délire.

Pretty Yende dans

Pretty Yende dans – © Sébastien Mahes

A partir de ce travail patient,  que peut-elle faire ? Désormais sûre de la justesse de sa voix, de sa souplesse longuement travaillée, avec ce don naturel d’un timbre inoubliable, soyeux dans tous les registres, le naturel confondant de l’actrice peut se déployer. Lucia, la « victime » rayonne bien au-dessus de son bourreau, son abominable frère, Enrico qui veut la vendre au plus offrant pour redresser la fortune familiale. Par rapport à des versions hystériques, dans la scène de la folie (où elle vient de tuer son époux et confond frère et amant), elle rayonne encore de bonheur, comme si la certitude amoureuse était plus forte que la mesquinerie sociale. Vocalement et scéniquement le baryton polonais Artur Rucinski est parfait dans son rôle de manipulateur agressif. Jonglant avec l’aigu comme avec le grave de leur tessiture lui et Pretty Yende font assaut de vocalises musclées dont la virtuosité ne s’égare jamais dans la technique pure. Même bonheur avec le ténor sarde Piero Pretti à l’aigu performatif dans le rôle d’Edgardo, autre victime de l’amour impossible Un trio impeccable qui se renforce encore d’une distribution parfaite des seconds rôles, qui rayonnent dans le fameux sextuor du 2 è acte. Musicalement le bonheur absolu avec une direction orchestrale légère et efficace, à l’écoute des chanteurs, de Riccardo Frizza, des chœurs expressifs déguisés en raides bourgeois en frac. Ils dominent une immense arène qui ressemble tour à tour à une salle d’entraînement militaire puis à un asile psychiatrique. Cette scénographie sinistre, oppressante voulue par le metteur en scène roumain Andrei Serban gomme le paysage écossais habituel avec son charme romantique, pour plonger la jeune femme dans le monde brut de machos impitoyables. Mal accueillie en 1995 par un public parisien très conservateur, cette mise en scène tient la route en « crucifiant » Lucia sur une poutre pour son air final, juste avant sa mort. Et miracle du théâtre, Pretty Yende surgit à l’avant scène après sa  mort pour recueillir une standing ovation énamourée de plus de 5 minutes bien avant le salut final. Voilà donc une nouvelle diva adoubée par le public parisien. Pour  retrouver Pretty Yende, encore un jour à Paris, puis  il vous faudra rejoindre le Metropolitan de NewYork, le Covent Garden londonien ou la Scala, sa rampe de lancement. A star is born. Enjoy.

 

Lucia di Lammermoor (Donizetti) à l’Opéra de Paris jusqu’au 16 novembre.https://www.operadeparis.fr/

Christian Jade(RTBF.be)

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

POST A COMMENT