• Cirque  • « La grenouille avait raison » de James Thierrée. Un cauchemar souriant. Un tableau en mouvement..

« La grenouille avait raison » de James Thierrée. Un cauchemar souriant. Un tableau en mouvement..

Critique : ***

Comme un mobile de Calder qui raconterait des histoires à dormir debout, à se faire peur ou se marrer le dernier spectacle de James Thierrée ne nous apprend rien sinon à rêver. Le mobile de Calder, l’image qui reste de ce spectacle c’est un énorme plafonnier suspendu, morcelé, mobile, multicolore, qui plane comme une menace au-dessus de petits personnages agités, pathétiques, pourris d’angoisse et pourtant drôles. Un piano mécanique dont les touches s’agitent, frénétiques, dans le vide,  est le centre rythmique de cette folie. Un petit  bassin transparent abrite peut-être les grenouilles de l’histoire et les sources inconscientes de ce rêve éveillé. James Thierrée, personnage de cinéma muet, violoniste, mime, acrobate,  est le chef d’orchestre et le centre nerveux de cette symphonie visuelle et sonore. La scénographie, splendide, qui brasse ciel, terre et eau,  écrase parfois trop les « personnages » réduits à se battre au sol plutôt qu’à s’élever dans les airs. Ca raconte quoi ? Dans l’interview qui suit, le petit fils de Chaplin propose une piste dans la forêt obscure.

Et le rôle du cirque dans cette peinture mobile? Les corps, en mouvements reptiliens, trouent l’espace de leurs rencontres en volutes, tour à tour agressives, sensuelles et drôles. Un spectaculaire escalier en colimaçon, suspendu, permet de remarquables ballets aériens. Au-dessus du plafonnier menaçant, araignée géante, virevolte une danseuse, un moment de grâce. Et le théâtre ? Insinué dès le lever d’un splendide rideau rouge qui s’élève et disparaît comme une montgolfière, il se poursuit par la mystérieuse  chanteuse /récitante masquée, drapée de rouge qui insinue le drame. Et il règne par le duo comique que James Thierrée forme avec la « surprise du chef », le Liégeois Jean-Luc Couchard,  inoubliable   » Dikkenek  » au cinéma, irruption drolatique ici. Un petit miracle puisque Jean-Luc  est entré dans ce cirque… à une semaine de la première (voir plus bas l’interview croisée de Jean-Luc et James). 

 » La grenouille avait raison «  de James Thierrée, au Théâtre de Namur jusqu’au 2 octobre

Christian Jade. RTBF.be

James Thierrée : un coin du voile.

James Thierrée.

James Thierrée. – © DR www.theâtredenamur.be

 ITV de James Thierrée par Christian Jade (CJ) et Hélène Van Den Broucke (HV), auteure d’un mémoire sur l’onirisme de James Thierrée.

CJ/HV: A défaut d’une histoire, un fil conducteur dans votre labyrinthe ?

JT : Je peux vous donner la recette d’une feuille du millefeuille. Il y avait une histoire de vengeance au départ de nos répétitions, et des personnages : le frère, la sœur et la demi-sœur. Et la chanteuse, une espèce de sorcière qui tient emprisonnés ses personnages, sous la surveillance d’un objet étrange. Je pourrais vous la raconter. Mais nous avons quitté ce navire là. Il s’agissait d’un conte à faire peur sur les kidnappings d’enfants. L’ogre capture des enfants qui vivent une terrible expérience de vie et de mort. C’est à la fois beau, magique et violent Les personnages étaient là… avec un texte. La chanteuse expliquait l’histoire, comme un conte. Et puis j’ai enlevé le texte  parce qu’un spectacle est comme un bateau qui doit larguer les amarres. Mon talent ne se situe pas dans le récit. Chez moi, c’est le « carrefour », l’endroit où des choses remuent à l’intérieur et où des significations peuvent prendre naissance, mais où le spectateur va terminer le chemin d’une évocation. J’aime bien être à cet endroit là.

CJ/HV: Quel est le rôle de l’eau qui surgit d’une curieuse petite piscine ?

JT : C’est un lavoir, comme on en trouvait dans tous les villages de Bourgogne où je vivais quand j’étais petit. Aujourd’hui c’est un objet désuet. C’était le lieu très mystérieux des femmes, un endroit magique pour nous où les grenouilles rôdaient Dans mon village il ne sert plus à rien et pourtant il y a cette eau qui s’y glisse encore, comme d’une source. C’est très étrange.

CJ/HV: Une image de l’inconscient ?

JT : Absolument. De ce lavoir part une sorte de fil de fer magique qui rejoint le grand objet mystérieux qui s’ouvre et qui est nourri par là. C’est quelque chose de l’ordre du cerveau et de la colonne vertébrale, du cortex.

CJ/HV: Il doit s’en passer des choses dans votre tête lors de ces mises en scène!

JT : L’avantage c’est que je n’ai jamais consulté de psy. L’objet qui se trouve au-dessus des comédiens, je n’ai aucune idée de ce que c’est. Tel qu’on l’a construit au fur et à mesure, il s’est morcelé. J’ai de la chance d’avoir des techniciens qui me suivent dans l’évolution de la scénographie. Au départ, il s’agissait d’un plafond. Ensuite nous avons obtenu des morceaux qui bougent dans les airs. Plus tard, ces morceaux sont devenus lumineux et ça a fini par devenir ce que nous appelons aujourd’hui  » le kaléidoscope  » parce qu’il change de couleurs et qu’il fait référence à un objet de l’enfance. Il est à la fois ésotérique et catalyseur, il amène des intentions. On en a peur ou on peut en mourir. On cherche à comprendre pourquoi il est là et s’il répond à nos questions. C’est mystérieux et beau : c’est déjà un cadeau en soi.

CJ/HV: Que cherchez-vous sur scène ? Recréer une séquence intense de vie ?

JT : Oui, et puis des ouvertures. J’ai l’impression de comprendre de moins en moins ce que je fais. Au début j’avais des idées arrêtées sur ce que je faisais. Maintenant je suis vraiment dans un souterrain. Parfois, c’est un peu périlleux, le public est un peu perdu. Mais l’humour facilite ce lien possible avec le public. Il vient alléger ou faire « digérer » rendre plus accessible ce qui vient par la suite ou ce qui est le plus étrange.  

Un petit miracle : la rencontre James Thierrée/Jean-Luc Couchard

Jean-Luc Couchard

Jean-Luc Couchard – © www.rtbf.be

A une grosse semaine de la première un acteur de la troupe s’éclipse. Patrick Colpé, directeur du Théâtre de Namur joue les  » go-beween » entre James Thierrée et Jean-Luc Couchard. Et frappe juste.

Un interprète heureux : Jean-Luc Couchard

 » Je connaissais James  de réputation. C’est un mec génial ! Nous nous sommes rencontrés pendant 2 heures puis répété 6 jours. J’ai fait beaucoup de théâtre donc les bases n’étaient pas perdues. C’est comme le vélo. Il y a eu rapidement une belle complicité entre nous, notamment via le rire. C’est la première fois que je joue  » sans paroles  » Pour moi, le langage de James Thierrée est proche du cinéma muet, qui utilise le corps et le visage, mais sans en faire de trop. L’alchimie a eu lieu et du coup les bases étaient posées. Et puis il y a une énorme tournée derrière avec New York, Chicago, Londres, la Russie… »

James Thierrée :  » il est arrivé comme un hussard ! « 

 » Il n’avait jamais vu mes spectacles, et c’est peut-être une chance. Je lui ai dit :  » Tu plonges dans la piscine. On ne va pas pouvoir s’expliquer. Il y a une sorte d’inconscience qu’il va falloir avoir comme les enfants qui apprennent instinctivement les choses. » Il a pas mal de métier et  il a dû me faire confiance. Et il y est parvenu, il a cette capacité-là.  Le spectacle va encore évoluer comme tous mes spectacles  »

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