• Théâtre  • ‘Le carnaval des ombres’, un cadavre dans le placard belge.

‘Le carnaval des ombres’, un cadavre dans le placard belge.

Un acteur brillant, Serge Demoulin, s’essaie à l’écriture pour conjurer un passé douloureux : un « Boche », sommeille en lui. Le carnaval de Malmedy, lui permet d’aborder le passé familial et celui d’un coin oublié de Belgique: les cantons « rédimés », Eupen,Malmedy, St Vith.

Critique:***

Ah les «cantons rédimés», enfouis dans nos livres d’histoire ! Ces fameux petits patelins sympas, aux confins de la Wallonie et de l’Allemagne, du côté d’Eupen /Malmedy surtout fameux pour leur sens de la fête et leurs carnavals printaniers. Ils cachent pourtant de sombres histoires de «collaboration» ces petits bouts de terre, donnés à la Belgique après la première guerre mondiale et annexés par Hitler en 1940. C’est que, passer de 1918 à 1940 de l’Allemagne à la Belgique et vice-versa, ça laisse des traces même si les tabous rendent les pères, oncles et grands-pères peu bavards.

Serge, natif de Waimes près de Malmedy, s’est un jour fait traiter de Boche à Bruxelles et s’est mis à traquer la vérité sur certains membres de sa famille …et de sa région grâce au témoignage d’un enrôlé de force Il n’en sort pas un réquisitoire mais un carnaval de vérités surgies des libations carnavalesques. Mais le fond de son «histoire» est solide et sans didactisme. Passant du rire et du guignol à la gravité-Serge -écriture et jeu- nous apprend le refoulé de nos manuels scolaires: l’annexion, en 1940, des fameux cantons par l’Allemagne nazie qui crée une  tout autre situation que dans  la Belgique «occupée». Citoyens allemands, sous un régime nazi, les habitants des cantons sont enrôlés, sans discussion possible, sur le front de l’Est, «ça va de soi». Si résister, en Belgique ou en France, était possible, mais pas tellement pratiqué avant 1943, que dire quand vous êtes «citoyen allemand»? Et que faire, pendant la bataille des Ardennes, fin 1944, quand, d’un jour à l’autre un village passe du côté allemand ou allié?

Le récit de Serge Dumoulin nous plonge dans ces contradictions, d’abord dans une franche ambiance de carnaval wallon, peut-être un peu trop longue, avant de s’épaissir progressivement sans jamais verser dans le drame. Maîtrisant tous les registres du récit, jouant de nombreux personnages, avec humour tendresse mais sans complaisance familiale, Serge, aidé par le regard aigu de Michael Delaunoy, varie les rythmes etgarde le plus dur à distance, avec une franchise pleine de délicatesse.

A la différence de la mode de l’autobiographie complaisante on a ici un morceau d’histoire familiale…et d’Histoire tout court, délivré par les moyens classiques de la comédie et de la distanciation naturelle qu’elle permet. Une belle réussite que ce «one man show» qui fait surgir, en douceur  les mauvaises ombres  d’une Histoire de Belgique méconnue.

Le Carnaval des ombres de et par Serge Demoulin, mise en scène de Michael Delaunoy.

Au Rideau de Bruxelles,(à l’Atelier 210), jusqu’au 31 mars.

Info : http://www.rideaudebruxelles.be/index.php

Christian Jade. (RTBF.be)

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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