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Thanks to my eyes, réussite magistrale de J. Pommerat et O. Bianchi

La Monnaie présente,  du 3  au 11 avril 2012 « Thanks to my eyes », le premier essai du metteur en scène de théâtre  Joël Pommerat dans le domaine de l’opéra. Nous reproduisons notre commentaire enthousiaste  après la première, au festival d’Aix-en-Provence , l’ été 2011

 

 

 

– © rtbf

 

 Critique:***

Son univers est bien là, dans un clair obscur raffiné: un affrontement avec un père autoritaire, artiste comique, raté, l’échappée belle dans un double rêve féminin, entre réalité et fantasme, et la présence d’une mère évanescente. Avec la musique d’Oscar Bianchi pour porter ce cri à une intensité vocale sans emphase. Belle rencontre.

La pièce originelle  de Joël Pommerat,  Grâce à mes yeux, une œuvre  de 80 pages, jouée en 2002,  s’est réduite à un livret de 12 pages…en anglais, pour « faire place » à la musique d’Oscar Bianchi. Un  objet fascinant en résulte, coproduit par La Monnaie et donc visible à Bruxelles au printemps 2012.

En affrontant pour la première fois le genre opéra, Joël Pommerat et Oscar Bianchi prenaient des risques. Pommerat, metteur en scène et écrivain  de théâtre confirmé, n’a, au départ,  aucune affinité pour l’opéra et   le répertoire classique. Et Bianchi, joué par des ensembles prestigieux comme le Klangforum Wien, Les Percussions de Strasbourg ou l’Ensemble Ictus n’a jamais affronté l’opéra avec ses contraintes matérielles. D’une double dépendance  inconfortable, l’un au texte  et à sa mise en scène, l’autre à la musique, réductrice (de texte),  est née une liberté de produire ensemble un nouveau monde baignant dans un « symbolisme réaliste ». Joël Pommerat avoue  avoir puisé son inspiration dans trois sources: un souvenir d’enfance, La Mouette de Tchekhov et Pelléas et Mélisande.  De Maeterlinck,  il aime la langue blanche et le climat crépusculaire. De La Mouette, il assume la réflexion sur les deux formes de théâtre, récit à l’ancienne ou langue expérimentale. Son souvenir d’enfance lui donne  un décor montagnard et un personnage de vieille dame, plus grand-mère que mère.

Oscar Bianchi a voulu, pour des questions de  couleur de sa musique, un  livret en  anglais et a inventé  pour le personnage principal , Aymar -un adolescent qui  cherche son identité entre père et mère,-une partition  qui mélange les tessitures de contre ténor et de baryton! Et surtout il a trouvé en Hagen Matzeit un interprète idéal, totalement convaincant, de ce double registre. Pour le père, autoritaire et menteur, la basse Brian Bannatyne-Scott a la voix et la présence  physique de l’emploi.  Pour passer de la consolatrice nocturne, fantasmée,  à la jeune fille solaire, plus réelle, deux sopranos de charme, familières du répertoire contemporain, Keren Motseri et Flur Wyn. Le rôle de la vieille  mère est parlé et en français, (par Anne ) comme symbole de l’extinction de ses forces, d’une femme au bord de la mort. Frank Ollu  dirige  l’Ensemble Modern avec une précision qui rend compte de la rigueur et du lyrisme intimiste de la partition.

– © rtbf

Ce petit opéra de chambre est parfaitement maîtrisé par Joël Pommerat dont la mise en scène parvient à « raconter  » une histoire ( ce n’est pas pour rien qu’il adore les vieux contes, Pinocchio, Cendrillon, Le Petit Chaperon Rouge) tout en évitant le réalisme. Il obtient de ses interprètes cette esthétique très ritualisée, qui rend au corps de chaque acteur/chanteur sa présence intense. Le corps et l’âme ne font qu’un, grâce à la musique de Bianchi, la direction d’acteurs/chanteurs de Pommerat s’appuyant sur son complice de toujours Eric Soyer,scénographe et maître de la lumière . Il nous a joliment expliqué son esthétique dans l’interview ci-dessous. Et donné, dans le programme, le fin mot de cette réussite: « Serait-il ridicule de dire que je vais m’occuper du corps et qu’Oscar va s’occuper de l’âme? Et puisqu’on dit …que la séparation est artificielleen m’occupant des corps , je vais m’occuper des âmes. Et Oscar, en s’occupant des âmes va s’occuper des corps. »

Venant d’un matérialiste, la formule résume cette quête mélancolique d’un sens à la vie, dans un univers où la liberté et la vérité sont une rude conquête.

Thanks to my eyes, à Aix jusqu’au 11 juillet,

puis à La Monnaie, du 3 au 11 avril 2012

www.festival-aix.com

www.lamonnaie.be

Christian Jade (RTBF.be)

 

Interview Joël Pommerat (5mn30): voir plus bas

Joël Pommerat(c) Elisabeth CarecchioLe fil conducteur de sa mise en scène?

Extraits

Ce qu’on retient quand on sort d’un grand moment théâtral, c’est comment l’histoire a fabriqué, malaxé, sculpté de la présence humaine. La lumière c’est ce qui fait advenir cette présence…

-Ce qu’on touche avec le chant, c’est quelque chose dont je rêvais avec la parole théâtrale…J’aimerais arriver à cette qualité de parole qui met en mouvement le corps…

 

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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