• Théâtre  • ‘Les Reines’, grandes frustrations de femmes couronnées.

‘Les Reines’, grandes frustrations de femmes couronnées.

Un Shakespeare revisité, Richard III, vu des coulisses par six reines en mal de pouvoir. Un Canadien francophone, Norman Chaurette à l’écriture (musicale), Philippe Sireuil à la mise en scène. Et six fabuleuses comédiennes pour incarner et défendre ce pari plus poétique que théâtral.

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Critique ***

Au départ, une commande au Canadien francophone Norman Chaurette : une nouvelle traduction de Richard III de Shakespeare, l’épopée d’un monstre. A l’arrivée, une inversion des rôles. Deux rois et leurs enfants meurent en coulisses, victimes invisibles de Richard III. Sur scène six femmes, ex ou futures reines, exhalent leur dépit, leurs rancœurs ou leurs ambitions frustrées.

N’y cherchez ni la «vérité» historique, l’interminable Guerre des Deux Roses entre les Lancaster et les York, arbitrée par le «faiseur de rois» Warwick, sur fond de guerre des Cent ans avec la France. Ni la «vérité» shakespearienne, qui étale le conflit en une énorme tétralogie, trois pièces sur HenriVI (et sa femme la Reine Marguerite de Valois) et ce fameux dernier volet, Richard III. Par curiosité, j’ai parcouru cet énorme corpus shakespearien et découvert que ces «reines» sont des battantes et pas des «vaincues», comme l’insinue Chaurette. Marguerite, notamment, préfigure les impitoyables Lady Macbeth et deux des filles du Roi Lear. Des victimes? Plutôt de solides viragos, aussi ambitieuses et retorses que leurs époux ou pères. Mais qu’importe. Amateurs d’Histoire, de Shakespeare et de récit bien ficelé, passez votre chemin. Chaurette nous propose un «thème et variations», une rêverie poétique sur la dureté d’être femme.

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Parfum shakespearien sur une ronde de femmes austères et provocantes.

Il reste sur le plateau un parfum shakespearien de désastre et de blessures intimes autour de l’ambition du pouvoir et des souffrances intimes, vue par des femmes. Chaurette, sur un canevas volontairement lacunaire, construit, dans une langue très musicale, quelques beaux monologues et dialogues de femmes cuvant leurs ambitions échouées, en écho à la bataille des hommes. Le metteur en scène Philippe Sireuil s’amuse à brouiller les pistes. Les six reines sont vêtues presque à l’identique d’une coiffe austère qui contraste avec des jupettes d’adolescentes provocantes. Seule la duchesse d’York -royale Janine Godinas- mère de la plupart des rois, mourant ou intriguant en coulisse, porte un vêtement d’époque et semble comme le symbole de tous les conflits présents et à venir, passant de cette nuit de tempête en 1483 au XXIè siècle, parcourant l’univers d’Ouest en Est.

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Un cadeau pour actrices:insinuer  ‘desperate housewives’  dans Shakespeare.

Dans le programme, Valérie Bauchau, jouant Anne Dexter, personnage «inventé» par Chaurette, résume le défi des 6 actrices.

«Travailler avec Philippe Sireuil sur un texte de Norman Chaurette, c’est multiplier les doutes…de façon exponentielle. D’une part un metteur en scène qui cherche à déstabiliser texte et acteur pour mettre à jour de nouveaux possibles, et d’autre part un auteur qui manie l’écriture à facettes, mixant avec ruse Shakespeare et «desperate housewives»…Expérience très inconfortable donc, mais n’est-ce pas de l’inconfort que surgit la lumière?».

De cet inconfort, Valérie tire une présence d’autant plus subtile et puissante qu’elle passe la moitié du spectacle muette, comme punie, dans un coin de la scène. Une vraie actrice est présente, même dans le silence. Anne Claire, en «ex» Reine Marguerite, se livre à un numéro de haute voltige, oscillant, de son propre aveu «entre fureur et délicatesse, humour et gravité…(pour) mettre en relation le visible et l’invisible». Anne Cervinka, Cécile Leburton et Estelle Petit semblent s’amuser «comme des enfants qui jouent à… et y croient dur comme fer».

Alors? Pour donner du sens à ce texte, beau et confus, musical et dispersé, émouvant et drôle, une fois qu’on se prend au jeu, il fallait la force de cinq actrices de haut rang, affrontant un texte non réaliste. Avec l’aiguillon d’un metteur en scène de type «despote éclairé», Philippe Sireuil, maître de la lumière, de la couleur et de l’espace. Pour donner vie à  six reines égarées dans leur (notre?) imaginaire. Belle aventure, à gagner chaque soir.

NB : très bonne idée de donner à lire, dans le programme, l’avis de chaque actrice sur le texte, le metteur en scène et la manière dont chacune a vécu l’épreuve. Un bel exercice d’intelligence et de transparence.

Les Reines de Norman Chaurette, m.e.s de Ph. Sireuil, au Théâtre de la Place des Martyrs, jusqu’au 31 mars.

Info. www.theatredesmartyrs.be

Christian Jade (RTBF.be)

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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