» Lohengrin » (Wagner). Un grand moment de beauté, signé Py et Altinoglu, sur Wagner et l’antisémitisme ****
Difficile de passer à côté de Richard Wagner, en ce moment, sans le voir revêtu des habits de nos obsessions contemporaines. Après la reprise d’un « Parsifal » féministe et doucement iconoclaste de l’Allemande Tatiana Gurbaca, à l’Opéra Vlaanderen, voici » Lohengrin » aux prises avec l’antisémitisme d’une armée allemande écrasée. Dans les ruines calcinées de Berlin 1945, » Stunde Nul « , Allemagne année Zéro, Olivier Py nous offre un récit clair et intense, situant Wagner dans toutes ses ambiguïtés politiques et ses beautés formelles fulgurantes. Un bonheur total, transcendé par la direction musicale d’Alain Altinoglu, menant l’orchestre de la Monnaie, ses chœurs et les solistes à des sommets de douceur ou de violence maîtrisée. Dans une scénographie de Pierre-André Weitz en clair-obscur tournoyant en permanence sur ce champ de ruines. Fascinant.
Il nous avait déjà éblouis, à la Monnaie, par une mise en scène de référence des » Huguenots » de Meyerbeer (2011) et cette saison par un émouvant » Dialogue des Carmélites » de Poulenc. Pour ce » Lohengrin » Olivier Py trouve l’angle précis où remettre sur l’ouvrage l’éternelle question : » Monsieur » Wagner était-il antisémite ? C’est un fait, il a même publié, en 1850 un ouvrage théorique abominable » Le judaïsme dans la musique « , généralisant à l’ensemble des Juifs sa haine de ses rivaux, Meyerbeer, Mendelsohn, Offenbach. Mais » l’Artiste » Richard Wagner est-il responsable de l’ »annexion » de son » œuvre » par le régime nazi, 50 ans après sa mort ? Olivier Py répond : » Il faut révéler l’œuvre par ses conséquences ultimes, comme si elle était un cauchemar prémonitoire…Parce que nous sommes tous contemporains de l’après- Auschwitz et parce qu’il n’est pas permis de retrouver l’innocence perdue d’avant-guerre. L’ultime conséquence, la destruction de l’Allemagne, est le cadre où se joue et se rejoue l’origine même du messianisme germanique «
» Messianisme » germanique ?
– © Baus_la monnaie De Munt
» Messianisme » germanique ? Base d’un » nationalisme » mortifère ? Derrière cette œuvre ouvertement politique de Wagner sur les sources » médiévales » du pouvoir en Allemagne et sa légitimité divine, Olivier Py insinue tout le romantisme allemand, esthétiquement fascinant, de Grimm, Goethe, et Beethoven à Novalis, Hegel et même le magnifique Caspar David Friedrich et ses paysages tragiques et métaphysiques. Dans la scène capitale où Elsa pose à Lohengrin la question interdite et fatale de ses origines, les deux époux évoluent sur 9 cases symboliques où figurent clairement ces » responsables » des origines mythiques et païennes de l’Allemagne, de sa grécomanie, de sa métaphysique et de son culte de la mort. Et dans le programme, remarquable, aux points de vue nuancés sur l’antisémitisme wagnérien, Olivier Py fait la synthèse au niveau des rôles : l’affreuse Ortrud représente le paganisme, Elsa le peuple et Lohengrin la métaphysique allemande. La conjonction de ces 3 tendances, ici encore divisées, fera le lit ultérieur du… nazisme.
Alors, une œuvre à thèse la mise en scène d’Olivier Py? Plutôt une série de questions qui, loin de faire obstacle au sens (et au plaisir) de l’œuvre, la renforcent et la plantent dans un contexte contemporain. Les nationalismes, en Europe, sont bien vivants et il n’est pas de jour où ils ne fassent parler d’eux, de la Pologne à l’Autriche, de la Hongrie à l’Italie, de la France à une minorité en… Allemagne ou en …Flandre.
Une proposition scénique et musicale bouleversante.
– © Baus_la Monnaie De Munt
Mais qu’on soit sensible ou non au débat d’idées, sous-jacent mais pas » envahissant « , impossible d’échapper à la beauté de la proposition scénique et musicale. Pierre-André Weitz, le scénographe complice d’Olivier Py nous plonge dans une ruine sublime, un sombre théâtre incendié, aux vitres brisées, qui tourne en rond et dont les loges abritent les chœurs. Berlin 1945, c’est ça, un théâtre détruit d’où surgissent les acteurs. Henri l’Oiseleur, l’arbitre du conflit, et sa Cour sont revêtus d’uniformes nazis mais pas de croix gammées pour appuyer le trait. On est dans la nuance. Ortrud et Telramund, la » vieille garde » réactionnaire, sont classiquement vêtus de noir et les » mystiques « , Lohengrin et Elsa, d’un blanc lumineux. La nature s’insinue par des projections qui font penser à… Caspar Friedrich et le cygne se réduit à quelques plumes répandues dans l’air. Le plateau tournant, un classique de mise en scène…à l’allemande permet une fluidité dans le déroulé des scènes. Un visuel digne donc de l’ère… romantique allemande, mise sur la sellette : une belle cohérence !
Et puis la musique… d’abord, autre régal. D’entrée de jeu un des deux fameux préludes de Lohengrin, doucement méditatif, permet à Alain Altinoglu et à l’orchestre de la Monnaie de nous plonger dans un bain de nuances, un flot de caresses et de contrastes, jamais appuyés. Ils nous entrainent, sans un instant de faiblesse, dans un flot qui annonce la future » mélodie continue » de Tristan et du Ring avec des leitmotive encore embryonnaires. Le dialogue du chef avec des chœurs, splendidement préparés par Martino Faggiani est parfait Quant aux solistes, qui, pour la plupart, font leurs » débuts « à La Monnaie, c’est l’habituelle bonne » surprise du chef » (de casting), Peter de Caluwe. Le panache et les fines nuances d’Eric Cutler en Lohengrin font merveille tout comme l’assurance tranquille de Gabor Getz, le Roi, l’énergie agressive d’Andrew Foster-Williams. Le duel des rivales, les sopranos Ingela Brimberg (Elsa) et Elena Pankratova (Ortrud) est d’une justesse vocale transcendante. Avec une présence scénique » terrifiante » pour la » païenne » Pankatova, incarnation du nazisme » instinctif « .
Conclusion : que du bonheur. Courez ! Si vous aimez la musique de Wagner… et la polémique!
Lohengrin, de Richard Wagner, mise en scène d’Olivier Py.
A La Monnaie jusqu’au 6 mai
Info : https://www.lamonnaie.be/fr
Christian Jade(RTBF.be)
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